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Catégorie : Philosophie pratique

Le songe intérieur qu’on n’achève jamais

Nous ne sommes pas des bœufs. Or c’est à eux que Charles-Marie Leconte de Lisle prête ce songe intérieur qu’« ils suivent de leurs yeux languissants et superbes »[1]. Pouvons-nous extrapoler sans choquer les défenseurs de la cause animale ? Et  reconnaître aux humains que nous sommes le droit de partager avec les bovins ce privilège de songer ? Car songer, c’est vivre d’abord en soi ce qu’on vivra plus tard. Anticiper en façonnant l’instant à venir neuf et…

L’école vaut bien un dithyrambe

À l’origine poème d’éloge à Dionysos, le dithyrambe d’aujourd’hui est un « éloge enthousiaste ». Exactement ce dont l’école éprouve un urgent besoin, à contre-courant des tendances trop fréquentes au dénigrement. Dans un Dossier enseignement proposé par un quotidien, je découvre un article qui s’interroge : les grands génies étaient-ils bons à l’école ? Et d’emblée la réponse fuse : « Les personnalités qui ont fait ce monde étaient, contre toute attente, rarement les premiers de la classe. » Flaubert, J.K. Rowling,…

Qui s’abstient se possède

La multiplication des épisodes électoraux a conféré au mot « abstention » une sorte d’exclusivité politique. Or le terme en lui-même et sa famille ont une portée beaucoup plus large, qu’il vaut la peine de considérer. Son étymologie latine, le verbe abstinere – abs, « hors de » et tenere, « tenir » –, signifie « tenir éloigné ». Dans un article centré sur l’abstention politique[1], Denis Barbet, maître de conférences en science politique à l’IEP de Lyon, retrace l’évolution du terme au…

Le – de plus en plus ? – dur métier de vivre

« Le dur métier de vivre » est le titre d’une eau-forte du peintre Georges Rouault, au style pictural très particulier, rappelant qu’il a été au départ l’apprenti d’un peintre de vitraux. L’œuvre figure, en noir sur blanc, un homme nu, les yeux fermés, la nuque courbée comme si pesait sur elle tout le poids du monde. Pour Rouault, si la vie est dure, c’est, écrit-il, qu’elle est sous-tendue par la tromperie : « Nous ne sommes que mensonge,…

Renvoyer l’ascenseur aux censeurs des œuvres d’art

Les censeurs s’insurgent : la tortue namuroise doit rentrer sous terre. La récente condamnation, en première instance, de Jan Fabre, pour « des faits de violence, de harcèlement et de comportement sexuel inapproprié » a relancé un débat récurrent : faut-il associer ou dissocier un auteur et son œuvre ? Un artiste jugé coupable – quelle que soit la nature de ses délits – doit-il renoncer à son art, puisque toutes ses œuvres à venir ne peuvent être réalisées que…

Toute une gamme de barbares

Un potentat russe fait redécouvrir au monde entier les affres de la barbarie érigée en système d’État. Ce déni d’humanité révolte au point de faire ressentir son auteur comme étranger à l’espèce humaine. Il est vrai qu’une telle démesure dans l’inhumanité reste l’exception. Mais, à une autre échelle, des barbaries plus ordinaires existent et ont tendance à se banaliser. Il y a quelques jours, piéton, j’attendais le feu vert pour traverser. En face, un excité…

Cordonnier, pas au-delà de la sandale

La langue latine ne désarme pas. Peu à peu minorée, voire marginalisée dans l’enseignement, elle reste en embuscade dans notre quotidien et ressurgit par plus d’un détour. Elle a réussi un récent coup d’éclat avec le mot de l’année 2021 choisi par les internautes du Soir et de la RTBF : ultracrépidarianisme. Apparu dans sa version anglaise – ultracrepidarianism – dès 1819, le mot n’a connu sa graphie française qu’il y a peu, en 2014. L’ultracrépidarianisme…

Pour affiner la traduction française de « fake news »

Depuis quelques années, l’expression « fake news » a proliféré dans l’espace public – en particulier dans les médias – avec la même combativité que l’anglais lui-même et son expansionnisme tentaculaire. Or, son apparition n’est pas toute récente. Selon Jayson Harsin, professeur à l’université américaine de Paris, le terme fake news aurait été utilisé pour la première fois en 1999, lors de l’émission de télévision satirique américaine The Daily Show. D’emblée les francophones qui continuent à parler…

Et si nous « pygmaliions » 2022 ?

Au rayon des mots nouveaux agréés par les dictionnaires, la pandémie a la partie belle : les apocopes corona et réa,  coronapiste, « piste cyclable provisoire née du déconfinement pour favoriser la pratique du vélo en ville », arrivent en tête de liste. Pour contourner les obsessions du moment, oserais-je une autre proposition en vue du recensement de 2023 ? Je suis tenté par un verbe d’inspiration mythologique : « pygmalier ». Dans la mythologie grecque, Pygmalion, sculpteur chypriote descendant d’Athéna…

L’Épicure de rappel

(version intégrale) Après des siècles de cohabitation, le moment est-il venu de placardiser les penseurs anciens ? Et avec eux le grec et le latin qui donnent accès à leur lecture dans le texte même ? L’éducation, qui se veut moderne et numérique, y gagnerait-elle ? Ou, au contraire, se saignerait-elle ipso facto – et à tort – d’une part importante de son humanisme, sinon de son humanité ? Fervent supporter de l’Antiquité grecque, je reste stupéfait de vérifier…