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Et si on recalait les examens ?

La réforme des rythmes scolaires entraîne une conséquence qui pourrait prêter à sourire. Ou à grincer des dents ? Les « jours blancs » – ceux qui séparent la fin des examens de la fin officielle de l’année scolaire – se sont propagés du mois de juin jusqu’au mois de juillet. Cette période est ressentie par beaucoup de parents, mais aussi d’acteurs de l’enseignement, comme trop longue et, forcément, démobilisatrice des énergies chez les élèves.

Bien sûr, des aménagements plus efficaces des corrections d’examens et des délibérations pourraient avoir un impact positif et réduire un peu le nombre de ces jours « vides ». Mais une voie plus radicale et, à mon sens, plus opérante serait de remettre en cause l’examen même, dans sa version traditionnelle. Car les examens de fin d’année sont la clef de voûte de l’agencement du dernier mois scolaire : au minimum dix jours pour les préparer, dix jours pour les passer, dix jours pour en parler.

Regagner du temps pour apprendre

C’est-à-dire un mois d’apprentissage. Admettons qu’un élève apprenne « quelque chose » en préparant et en passant un examen. Mais apprend-il autant que dans un cours, si celui-ci est pédagogiquement bien conçu et ouvert à la diversité des intelligences ? Je n’en suis pas certain. Offrons dès lors à l’école un mois de cours de plus. Mais ce sera au prix de quel terrifiant sacrifice ! Les examens.

Pour tempérer cette terreur, recentrons-nous sur l’objectif de l’examen, qui est d’évaluer les compétences. L’évaluateur et l’élève y sont informés de la maîtrise, complète, partielle ou insuffisante de telle ou telle compétence. Cette information a quelque chose de prévisible si l’élève passe l’examen avec le professeur qui l’a suivi toute l’année. Une évaluation continue bien élaborée ne suffit-elle pas ? Elle empiète beaucoup moins sur le temps d’apprentissage, voire  s’y incorpore  en le valorisant.

Évaluer au quotidien

Une carrière de plus de quarante ans dans les enseignements secondaire et universitaire m’a amené à la conviction qu’une évaluation objective et une décision sur la réussite sont tout à fait réalisables sans un examen stricto sensu. Tant dans le secondaire qu’à l’université.

Après les quelques années du jeune enseignant qui se contente de fonctionner « comme tout le monde », je me suis rendu compte de l’avantage important que constitue, pour l’étudiant et pour moi,  un état des lieux plus fréquent et plus régulier que les périodes d’examens. Il nous permet de fixer, d’un commun accord, des objectifs précis et réalistes en vue de la prochaine échéance. Un fil conducteur concerté se crée, à la fois pédagogique et relationnel. On avance ensemble posément vers ce qu’on peut de mieux. L’examen n’a plus rien de nouveau à dire.

Et pourtant, le système l’exigeant, les examens continuaient à exister. J’en faisais le contraire d’une surprise. Ils deviennent l’occasion de confirmer qu’on en est bien là où on est conscient d’être, ou parfois d’en faire un peu plus, si on en à l’âme. Rarement et par nécessité, ils peuvent tendre une planche de salut dans des cas limites. Mais, de mon point de vue, leur disparition aurait rétrocédé du temps pour mieux former encore.

Au fil des ans, les directives pédagogiques des réformateurs ont de plus en plus insisté sur le fait qu’un jeune doit devenir l’acteur de sa propre formation. Ne sera-t-il pas plus acteur si lui-même et l’enseignant portent sur son travail un regard quasi quotidien – et rassurant – que si leur rencontre dans l’examen final apparaît comme une première ou un quitte ou double ?

Je suis conscient que cette idée de trucider les examens de fin d’année n’a pas toutes les chances de faire florès dans l’immédiat. Encourageons donc les écoles à entamer ou à poursuivre leurs efforts d’organisation pour mettre un peu de baume au cœur de celles et ceux qui ont une colère ou des idées noires à propos des jours blancs.

Publié dans La Libre Belgique, p. 33le lundi 3 juillet 2023, sous ce titre, et sur le site de La Libre Belgique, le même jour, à 9 h 37, sous le titre « Une carrière de plus de quarante ans dans l’enseignement m’a amené à la conviction qu’on pouvait supprimer les examens de fin d’année ».

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