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Devinette : quel homme politique Théophraste évoque-t-il ?

Souvent les Anciens nous donnent l’impression de parler au présent, intéressés qu’ils sont par la nature même de l’homme, intemporelle[1]. Ainsi Théophraste, philosophe grec du IVe a.C.n., élève d’Aristote : dans ses Caractères, il type et met en scène une série de comportements humains.

Son catalogue nous invite à un petit jeu. Nous y sommes appelés à découvrir quel homme politique contemporain se cache sous les traits suivants, décrits par Théophraste.

Il est une fripouille.« Être une fripouille, c’est avoir l’audace de faire et de dire des choses honteuses : prompt à jurer, de fâcheuse réputation, il invective les puissants, avec le caractère d’un marchand du marché. Il pourrait bien être aussi de ceux qui rassemblent les foules autour d’eux et les haranguent, usant de l’invective, lancée à grosse voix éraillée[2]. »

Il fait la gazette. « Faire la gazette, c’est colporter des propos et des faits contraires à la vérité. »

Il est effronté. « L’effronterie consiste à n’avoir cure d’une réputation honteuse, en ne visant que le seul profit. »

Il est un mufle. « La muflerie est une dureté en paroles dans les contacts sociaux. »

Il est méfiant. « La méfiance consiste à soupçonner tout le monde de malignité. »

Il est arrogant. « L’arrogance est un mépris de tout sauf de soi-même. L’arrogant a-t-il rendu un service, il entend bien qu’on s’en souvienne. »

Il est réactionnaire. « La tendance réactionnaire aurait assez bien l’air d’un amour du pouvoir qui convoite puissance et profit. Des vers d’Homère, voici le seul que le réactionnaire retient (quant au reste, il n’en connaît rien) : « Ce n’est pas un bien qu’une souveraineté multiple ; qu’un seul soit le chef ! »

Le personnage sort vers midi, manteau drapé, cheveux mi-longs, ongles soigneusement taillés et il s’avance fièrement en entonnant des discours de ce genre : « Avec les délateurs, la ville n’est plus habitable ! », « Nous en voyons de belles, dans les tribunaux, avec nos juges achetés ! ». »

Il est mauvaise langue. « Faire la mauvaise langue, c’est un penchant de l’âme à aller au pire dans les propos. C’est l’homme à ne pas s’abstenir d’insulter. Il médit copieusement de ses amis et familiers, et même des défunts, dénommant cette attitude liberté de parole, démocratie et liberté et tenant cela pour la chose la plus agréable de la vie. »

Il est une canaille. « La canaillerie, c’est un désir du mal. Cet individu cherche à rencontrer les gens qui ont perdu un procès ou ont été condamnés dans des actions publiques : il imagine qu’à leur contact, il deviendra plus expert et plus redoutable.

Il assure que personne n’est honnête, que tous sont pareils. Du méchant, il dit que, si on veut bien l’examiner, c’est un homme libre. « Cet homme-là, dit-il, a une bonne nature, il est attaché à ses amis, adroit. » Et de soutenir énergiquement qu’il n’a jamais rencontré personne de plus capable.

La canaille prend encore parti pour le méchant quand celui-ci parle à l’Assemblée ou se trouve accusé au tribunal : « Cet homme-là, affirme-t-il, est un chien de garde pour le peuple, car il surveille les malfaiteurs. » Et d’ajouter : « Nous n’aurons personne pour se charger avec nous des intérêts publics si nous abandonnons de pareils citoyens. »

La canaille est homme aussi à se faire le défenseur de vils individus, à plaider dans les tribunaux pour de sales affaires et, lorsqu’il rend un jugement, à tirer dans le plus mauvais sens les arguments des parties adverses. Bref, la canaillerie est sœur de la méchanceté. C’est bien vrai, ce que dit le proverbe : « Le pareil va vers son pareil ». »

Quel visage politique nous vient à l’esprit ? Il est à espérer que nous n’en voyons pas plusieurs. Y en a-t-il un seul ? C’est qu’une erreur de casting l’a amené là où il ne devrait pas être, et d’où il est urgent qu’il soit éloigné au nom de valeurs dont il ignore l’existence et qui fondent notre humanité.


[1]     Ce que j’ai tenté d’illustrer dans un ouvrage récent : Grèce et Rome en deux cent deux clins d’yeux, Paris, Les impliqués Éditeur, 2024.

[2]     Les traductions de Théophraste doivent beaucoup à Marie-Paule Loicq-Berger.

Publié sous le titre « Quel homme politique se cache sous les traits dépeints par Théophraste ? », dans La Libre Belgique du mercredi 26/03/2025, p. 35, et sur le site de La Libre Belgique, à 12 h 42.

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