Aller directement au contenu

L’école vaut bien un dithyrambe

À l’origine poème d’éloge à Dionysos, le dithyrambe d’aujourd’hui est un « éloge enthousiaste ». Exactement ce dont l’école éprouve un urgent besoin, à contre-courant des tendances trop fréquentes au dénigrement.

Dans un Dossier enseignement proposé par un quotidien, je découvre un article qui s’interroge : les grands génies étaient-ils bons à l’école ? Et d’emblée la réponse fuse : « Les personnalités qui ont fait ce monde étaient, contre toute attente, rarement les premiers de la classe. » Flaubert, J.K. Rowling, Malraux, etc., servent de références. Sans que leur scolarité capricieuse soit une fake news, est-il bienvenu de l’épingler en période de rentrée scolaire ?

Est-ce le moment de suggérer qu’il peut être préférable de ne pas (trop) s’investir dans l’école pour « devenir quelqu’un » ? Dénigrement indirect et mesuré, mais inscrit dans un courant d’opinion dépréciant de l’école, alimenté depuis des décennies par les soubresauts pédagogiques de réformes en rafale, par les enquêtes PISA et par les dédains récurrents des pouvoirs publics.

La foi en soi de l’école

Or l’école a besoin du contraire. Pour aller de l’avant, elle a besoin d’y croire, de croire en elle, en sa fonction, vitale pour une société. Plus les acteurs extérieurs à l’école croiront en elle, plus les acteurs impliqués dans l’école leur emboîteront le pas. Au bout de la filière, c’est l’élève lui-même qui croira en l’école et y gagnera : qui pourrait apprendre sans faire confiance ?

Soyons donc positivement tendancieux et subjectifs pour redire à l’école ses qualités. Elle vient de donner, pendant la crise du Covid, une remarquable leçon d’adaptation aux circonstances, dont on espère qu’elle aura été formative pour tous. L’école n’a-t-elle pas pour mission de se mouler sur l’évolution du monde sans s’y asservir ? Elle dessine la société sans la circonscrire, prête à suggérer des échappées et des hardiesses nouvelles.

« Tu mesures la valeur d’un peuple à son école, car elle incarne à la fois le savoir-faire, le savoir apprendre et le savoir-vivre. », souligne Mostefa Khellaf. Oui, l’école est bien un lieu où la vie enseigne au moins autant que les cours. C’est aussi en s’y côtoyant et en apprenant à s’y respecter que les humains s’y construisent.

La foi en soi du professeur

Pour Daniel Pennac, lui-même enseignant, « il suffit d’un professeur –- un seul – pour nous sauver de nous-mêmes et nous faire oublier tous les autres ». Du même, il dit encore : « Ce professeur-là n’inculquait pas un savoir, il offrait ce qu’il savait. » De tout temps cette destinée-là a motivé nombre de jeunes à devenir « les influenceurs du savoir ». Pourquoi alors maintenant la pénurie de profs ? Pourquoi alors la chute des inscriptions dans les filières pédagogiques ? Parce que le tableau actuel n’a pas les couleurs qui favoriseraient la confiance en soi des enseignants.

Les gens – et en premier lieu les parents – verraient le prof avec le regard de Daniel Pennac : un amoureux du savoir passionné de le partager. Dans le concret, cela n’empêche pas les erreurs, les couacs, les maladresses. Mais, au-delà des imperfections, la confiance des adultes doit autant que possible s’obstiner. Elle conditionne la confiance des enfants et des jeunes. Que pourraient-ils apprendre sans confiance ?

Dans leur sphère, les « pilotes » de l’enseignement rejoindraient aussi la vision de Daniel Pennac. En réformant, corrigeant, modernisant, rénovant, ils auraient comme souci majeur que le prof puisse rester « celui qui offre ce qu’il sait » et puisse continuer à parler de « vocation ». Or la course – sans doute non calculée, mais bien réelle – au fonctionnarisme a plutôt dessiné le profil d’un enseignant incolore, inodore, insipide, fidèle reflet des pédagogies nouvelles. Cette perspective a fait fuir des profs jusque-là enthousiastes et dissuadé bien des postulants éventuels. Alors que la figure du prof influenceur aurait l’effet inverse.

Vous et moi, avec discernement, disons du bien de l’école, chaque fois que c’est possible. L’école est le tronc commun d’une société. Tous les citoyens – pas seulement ses amis – ont intérêt à le rendre et à le voir solide.

Publié le 31 août 2022, dans La Libre Belgique, p. 35 et sur le site de La Libre Belgique, le même jour à 11 h 36.

Publié dansEnseignementEthiquePhilosophie pratiqueSociété