La semaine de la langue française nous offre chaque année l’occasion de prendre langue avec nos racines, à travers la langue « de chez nous », notre langue maternelle. Elle mérite bien, la pauvre, que l’on soit en bons termes avec elle une fois par an, ballottée et malmenée qu’elle est trop souvent le reste du temps, pour diverses raisons. Tirons illico la langue à la discrimination politique dont le français est victime dans certaines communes bruxelloises ou flamandes : ces tentatives d’étouffement reconnaissent implicitement sa grandeur et sa puissance redoutée. Les agressions extérieures inciteraient plutôt à se mobiliser en ardents défenseurs. Ce sont les amis de la langue, les utilisateurs patentés, qui, s’ils n’y prennent garde, deviennent ses meilleurs ennemis. Et ils ne sont pas rares…
En première ligne marchent les adeptes des textos – nom francisé du SMS – ou des méls – eh oui, le terme existe désormais sous cette forme et vous pouvez le jouer au scrabble. Par souci d’économie, lorsqu’ils entreprennent d’écrire un mot à un copain, les rédacteurs de textos se donnent le mot pour le faire à demi-mot : ils adoptent des graphies phonético-comiques dans l’espoir que le message ait d’autant plus de caractère qu’il comptera moins de caractères. Quant aux méls, vous avez peut-être remarqué, vous aussi, qu’ils sont truffés de fautes de frappe, d’orthographe et de grammaire, bien plus que n’en comportaient, dans notre souvenir, les bonnes vieilles lettres manuscrites. Et prière bref, s’il vous plaît ! Allez droit au but. Sans phrases.
Question ouverte : rend-on meilleur hommage à la langue en la pratiquant à toute vitesse, en rafales et sans s’encombrer du détail ou plutôt en prenant le temps de la déployer avec une patience génératrice de nuances ? À chacun sa réponse.
Cette précipitation bien contemporaine nous introduit à un second groupe d’auteurs de maltraitances vis-à-vis de la langue. Il est difficile de donner à la catégorie des limites claires, car elle comprend tous ceux qui privilégient l’urgence de parler ou d’écrire par rapport à l’usage respectueux de l’instrument. Vous et moi sommes sans doute quelquefois du nombre, mais bien davantage ceux dont le langage passe par les médias. La variété des entorses est extrême : fautes d’orthographe dans les sous-titres à la T.V. ou dans les journaux, mauvaises liaisons à l’oral, dérapages grammaticaux divers. Dommage, car les médias, par leur omniprésence, sont devenus professeurs de langue pour le commun des mortels et contribuent donc à répandre des emplois douteux ou fautifs : par exemple, la confusion entre prêt à et près de, l’usage de s’intéresser et critiquer la politique (sic) au lieu de s’intéresser à la politique et la critiquer, de assez imaginatif que (sic) pour écrire des romans au lieu de assez imaginatif pour écrire des romans, etc. Une longue liste n’a pas sa place ici, mais vous pourriez aisément la trouver dans les manuels de français destinés à la formation des journalistes.
Autre étonnant constat : alors que l’idéal consiste apparemment à communiquer le maximum de choses en un minimum de temps, les pléonasmes sont légion. Des plus banals (commencer d’abord, un faux prétexte, répéter de nouveau) aux plus subtils à détecter : la raison trouve son origine dans le fait que au lieu de la raison (ou l’origine) en est que, ou encore permettre de pouvoir – et pourquoi pas permettre de pouvoir être en mesure d’être à même de ? – au lieu de permettre tout court.
L’espace ouvert à la langue, qu’elle soit française ou autre, est rempli d’une façon de plus en plus dense, parfois saturé. Les interviewés à la langue trop bien pendue, les politiciens à la langue de bois ou parfois amateurs de gros mots, les experts qui se payent de mots, tous ceux-là donnent souvent l’impression de ne rien dire. Comment faire passer la langue française de la fête au faîte ? En la respectant d’abord pour elle-même, c’est-à-dire en considérant que même l’infime détail mérite soin, parce qu’il collabore à l’intelligibilité d’ensemble. En la respectant aussi comme essentielle à toute relation, c’est-à-dire en postulant que les mauvaises langues ont rarement le dernier mot ; car, décidément, les échanges et dialogues s’enrichissent plus des compréhensions en angle ouvert que des interprétations au pied de la lettre.
Publié dans La Libre Belgique, p. 55, le vendredi 18 mars 2011.