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Candida charta : le latin, qui l’a teint, l’atteindra-t-il ?

Quid novi sub sole ? « Quoi de nouveau sous le soleil » de la politique belge, qui aurait grand besoin de nouveauté ? Le retour du latin quasi comme langue véhiculaire. Le président de la N.-V. A., parti nationaliste flamand, Bart De Wever, a sanctionné la victoire de son camp aux élections d’un Nil volentibus arduum, « Rien de difficile pour ceux qui veulent ».  Et si l’ingéniosité dont ce licencié en histoire fait preuve dans cet acrostiche en n-v-a visait indirectement à proposer le latin comme espéranto à l’usage des deux communautés ? Car, par la suite, il a réussi à placer habilement d’autres citations, comme Bis vincit qui se vincit in victoria, « Il vainc deux fois celui qui se vainc dans la victoire » ou encore Fabula acta est, « L’histoire est jouée ». Pourquoi pas le dialogue en latin ?

Une journaliste de Vers l’Avenir, Catherine Ernens, s’est demandé quel francophone oserait adresser à l’imperator nationaliste le propos de Cicéron dans sa première Catilinaire : Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? « Jusqu’où finalement abuseras-tu, Catilina, de notre patience ? » Mais le patrimoine latin ne contiendrait-il pas encore d’autres richesses utiles pour son admirateur du Nord ? La question peut intéresser l’observateur de ce spécimen de la gent flamande, même s’il ne faut pas conclure ipso facto : Ab uno disce omnes, « À partir d’un seul, apprends comment ils sont tous ».

Ad augusta per angusta, « Vers des résultats respectables par des voies étroites », conseilleraient, par exemple, les conjurés de l’Hernani de Victor Hugo à celui qui trace en permanence des autoroutes à coups de bulldozers rugissants. Ah ! il s’inspire de Caton l’Ancien et du Delenda Carthago – « Il faut détruire Carthage » –  pour sa ritournelle du Delenda Belgica ! Ah ! il festoie avec l’opposition selon le principe, que Machiavel reprend au sénat romain, du Divide ut imperes, « Divise pour commander » ! Proposons-lui, en échange, le vers d’Ovide : Donec eris felix, multos numerabis amicos, « Tant que tu seras en réussite, tu compteras de nombreux amis ». Peut-être alors, surfant sur la vague électorale, mais conscient que l’écume n’est que celle du jour, ce souverain pontifiant se souviendrait-il que Sic transit gloria mundi, « Ainsi passe la gloire du monde ».

Comment réagir face à un négociateur qui agit manu militari, féru de l’a priori que Si vis pacem, para bellum, « Si tu veux la paix, prépare la guerre » ? Son interlocuteur n’a aucune raison de penser, comme Laocoon chez Virgile, en face du cheval de Troie : Timeo Danaos et dona ferentes, « Je crains les Grecs, même s’ils apportent des cadeaux ». Pour la bonne raison qu’il n’y a jamais de cadeau, et que la notion même a disparu. Pourtant, c’est encore Virgile qui commente le travail de sape désormais en cours : Labor improbus omnia vincit, « Le travail opiniâtre vient à bout de tout ». Et puisque Verba volant, scripta manent, « Les mots volent, les écrits restent », toute l’astuce est, in fine, de lâcher au bon moment le mot qui tue, avec une feinte sincérité qui oublie le triste constat de Térence : Veritas odium parit, « La franchise fait naître la haine ».

Le vrai courage politique ne s’ancre-t-il pas d’abord dans une modestie qui rejoindrait saint Matthieu et son Beati pauperes spiritu, « Heureux les pauvres en esprit » ? À celui qui fait preuve de cette réserve, il devient possible de dire, en restant constructif : Sutor, ne supra crepidam, « Cordonnier, pas plus haut que la chaussure » ; ce que le peintre Apelle fit remarquer à un cordonnier. Il lui avait demandé de juger un tableau et, après avoir critiqué une sandale, l’artisan voulait donner un avis sur le reste. En politique – comme partout ? – le maître omniscient qui se contente d’un Magister dixit, « Le maître a parlé », ne fait pas le poids en face du modeste tâcheron qui lit Virgile : Non omnia possumus omnes, « Nous n’avons pas tous tous les pouvoirs ».

Une porte de sortie de crise s’entrouvrira-t-elle ? Ce qui pourrait aider, distille Quinte-Curce aux hyperémotifs extérieurement impassibles, c’est de redécouvrir que Nihil potest esse diuturnum, cui non subest ratio, « Rien ne peut être durable, si ce n’est pas fondé sur la raison ». Car, Claudien se rend à l’évidence : Inquinat egregios adjuncta superbia mores, « Quand l’orgueil s’ajoute, il gâte les caractères qui sortent du lot ». Les humbles citoyens que nous sommes trouveraient sans conteste leur compte dans un apaisement adulte. Comme le fabuliste Phèdre le dit de la grenouille spectatrice d’un combat de taureaux : Humiles laborant, ubi potentes dissident, « Les petites gens sont en difficulté, là où les puissants sont en désaccord ».

Publié comme « Carte blanche » dans le Soir, p. 15, le mardi 22 février 2011.

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