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« Ayez de l’ambition », qu’ils disaient

Les tractations politiques liées à la formation du dernier gouvernement en date nous ont rappelé que l’ambition est comme la langue d’Ésope.

La vie courante confirme l’ambivalence : « Ayez de l’ambition », redit-on aux enfants à l’école, aux jeunes en quête d’emploi, aux adultes dans leur parcours professionnel. Entendue comme le désir de réussir, l’ambition prend ici un tour positif : sans elle, ce serait l’inertie.  En revanche, le constat « Tu n’es qu’un ambitieux ! » est péjoratif : il condamne l’arriviste prêt à tout pour grimper à l’échelle.

Le contrepoint en politique coule de source. Le recrutement y est impensable sans l’ambition : qui briguerait un rôle de leader sans un « désir ardent d’obtenir les biens qui peuvent flatter l’amour-propre » ? Même le service du bien commun vise à une reconnaissance de l’ego. Inutile donc de rêver à un pouvoir distribué en fonction de l’humilité. Mais, dans la course au pouvoir, comment distinguer l’appétit légitime de reconnaissance et le pur carriérisme ? Une frontière difficile à tracer. L’Histoire le confirme.

La démocratie athénienne exigeait le sens du bien commun. Un citoyen soupçonné de rechercher le pouvoir personnel faisait l’objet d’une mesure spéciale : l’assemblée votait contre lui l’ostracisme, éloignement de la cité pendant dix ans. Rome nous instruit par l’étymologie du mot « ambition » : le verbe ambire signifie « aller autour, entourer quelqu’un (surtout pour le candidat qui sollicite les suffrages) ».  En découlent deux substantifs frères ennemis : ambitio, « démarches légitimes des candidats pour recueillir des votes », et ambitus, « brigue, recherche des magistratures par voies illégitimes ».  Plusieurs lois successives ont défini jusqu’où les candidats pouvaient aller pour séduire l’électeur.

Qu’en est-il de nos jours de la frontière entre l’ambitio et l’ambitus ? Le démocrate se félicite que la loi réglemente le financement des partis et des campagnes. Mais les dérapages des (jeunes) loups assoiffés de pouvoir ne sont bridés que par la conscience, celle des individus et celle des partis, si elle existe. C’est devenu monnaie courante qu’une promesse électorale ne soit pas tenue. L’esprit de l’ambitieux bat la campagne. Il ne recule devant aucun reniement. Si la loi a interdit d’acheter les voix par des largesses, agenda ou porte-clefs, que peut-elle contre les promesses bidon ?

Le citoyen lucide n’est pas dupe : la fringale de pouvoir commande. On veut le podium, quelque bassesse que cela implique. Car revanche, vengeance, renvoi d’ascenseur, copinage et népotisme sont des amis méchants de l’ambition. Avoir pour idéal d’évincer du pouvoir tel adversaire, confier des postes majeurs à des sympathisants de l’incivisme, promouvoir, pour services rendus, des mandataires qui, selon le principe de Peter, sont parvenus à leur niveau d’incompétence, élever le ton, criailler, voire insulter dans les assemblées, préférer les « petites phrases » au sérieux des débats de fond… autant de pieds de nez à la saine démocratie. Ainsi se trouve mâchurée l’image de l’espèce politique et de ses sous-espèces.

L’électeur reste à quia : aucun parti n’a l’exclusivité de ces inconséquences, même si certains les collectionnent. Si, dans l’isoloir, l’ambition constituait un critère d’exclusion, le champ politique risquerait de se désertifier. Or le travail démocratique requiert des femmes et des hommes propres à s’engager. Et qui s’engagerait sans ambition ? Le cercle se boucle.

Pour que de vicieux le cercle devienne vertueux, en politique comme dans la vie courante, la seule thérapeutique relève du libre arbitre de chaque individu. À tout âge, celui-ci s’éduque : il peut apprendre à préférer l’ouverture au repli, l’inclusion à l’exclusion, l’altruisme à l’égotisme, le respect au mépris.  Il suffit – (!) – que ces biens-là « flattent l’amour-propre » et que « le désir ardent » en naisse chez des ambitieux relookés.

Publié dans La Libre Belgique, p. 55, le mercredi 4 février 2015.

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