En droit français, l’expression technique « mettre en examen » signifie « procéder à l’inculpation d’une personne que l’on pense être coupable d’un délit ou d’un crime » et a remplacé le terme « inculper ».
Cette semaine, un essaim – premier sens du mot latin examen – de questions d’examens s’est envolé sur Facebook. Personne n’a été oublié, ni le CE1D, ni le CE2D, ni le CESS, (c’est-à-dire, en langage décodé, les épreuves certificatives de fin de deuxième, de quatrième et de sixième dans le secondaire). Les fuites ont rendu impossible la prise en compte des examens concernés. Cette pantalonnade ne fait pas rire. Elle manifeste un changement notable : le passage de la tricherie artisanale à la tricherie industrielle. Elle révèle aussi une imprévoyance – le terme est faible – des organisateurs. Elle plonge le profane dans la stupeur : comment des « responsables » ont-ils peu faire preuve d’une telle amoralité, voire d’une telle malignité ? Ils se cachent pour l’instant sous le X de la plainte déposée contre eux pour violation du secret professionnel. Et, pour l’instant, on continue sans doute à les appeler « éducateurs ». Bref, la débâcle est générale et contribuera à ternir l’image de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles plus sûrement encore que les enquêtes PISA.
Même si ces circonstances sont pour le moins particulières, elles réveillent forcément l’hostilité des opposants à ce type d’épreuves. Ils vont se trouver confortés dans leur position par les affirmations venant de tous les acteurs et selon lesquelles le conseil de classe aura en mains assez d’éléments pour procéder à la certification d’une manière tout à fait correcte. Si c’est le cas, ne faut-il pas déplorer l’extraordinaire déploiement d’énergie consacré à la confection de ces examens ? Ne pourrait-on pas déplacer cette énergie vers l’accompagnement des élèves en difficulté ? Au lieu de fournir à tous une évaluation non indispensable, on aiderait à se mettre à niveau ceux qui allaient probablement échouer à cette évaluation. Et, pour les uns et les autres, les données recueillies par le conseil de classe seraient à même d’assurer la certification.
Si les épreuves standardisées révèlent ainsi leur caractère relativement accessoire, faut-il les maintenir, alors qu’elles présentent certains inconvénients et autorisent certaines dérives ? Lesquels ?
D’abord, un examen externe risque d’entraîner une forme de bachotage, aussi bien de la part des élèves que des enseignants. Les premiers vont s’échiner à un entraînement basé sur les questions des années précédentes ; les seconds vont les encourager, voire les orienter dans ce sens, car la tentation est forte de croire que les résultats des élèves à une épreuve externe reflètent la qualité d’une école. Cette dérive transpose à tous les niveaux d’enseignement – n’oublions pas le CEB – ce que font certains cours de maths préparatoires à l’examen d’entrée en ingénieurs. Sans vrai rapport avec la profession d’ingénieur, ni même avec le contenu des études, ils se concentrent exclusivement sur les ficelles qui permettront de réussir l’examen. Le caractère global et multiforme d’une formation se trouve complètement ignoré au profit d’un drill utilitariste pratiqué avec des œillères.
Ensuite, l’examen externe génère un stress qui touche, lui aussi, à des degrés divers les acteurs de l’école. Mais les plus impliqués sont bien sûr les élèves. Et assez souvent, par contrecoup, les parents. Qui prétendra que, pour la majorité des jeunes, l’ambiance électrisée qui entoure l’événement les met en condition pour donner le meilleur d’eux-mêmes ? Le bon sens voudrait plutôt que les démonstrations de compétence les plus fiables se passent dans un certain « confort psychologique ». Celui-ci garde davantage en éveil la capacité d’autocritique et permet mieux de glaner, dans l’évaluation, des indications personnelles en vue de s’améliorer.
Enfin, comme l’actualité semble le confirmer, l’examen externe multiplie les risques de fraude par le nombre d’intervenants dans le processus qui va de la conception de l’épreuve à sa passation. Loin de nous l’idée que les tests, contrôles, bilans et examens internes échapperaient à la tricherie ? Tout obstacle à franchir, toute performance à assurer éveillent chez l’athlète la tentation d’y parvenir par tous les moyens, y compris illicites. Mais le phénomène s’exacerbe lorsque l’obstacle prend de l’ampleur et se trouve, pour ainsi dire, sacralisé.
Une conséquence logique se dégage ici : les inconvénients de l’examen externe ne diffèrent pas fondamentalement de ceux des autres épreuves du type « examen ». Ils s’y intensifient. Et plus l’évaluation se rapproche du quotidien de l’élève, plus elle atténue les effets pervers qui ont été évoqués. Le jeune qui réalise en classe un exercice donné par son instituteur ou son professeur s’intéresse à la matière et non aux énoncés d’exercices des prédécesseurs. Il est en situation de confiance si l’enseignant lui a signifié par son attitude qu’il le croit capable de résoudre l’exercice. Il a donc sans doute moins la tentation de tricher et il est plus facile d’organiser les choses de manière à ne pas lui en laisser l’occasion. Oui, décidément, c’est bien l’évaluation continue du quotidien qui fournit à l’enseignant, mais aussi à l’élève lui-même, les meilleurs indications sur sa réelle compétence.
Ce constat ne laisse pas d’être rassurant au moment où il va falloir « certifier » des élèves qui auront été « privés » d’épreuves externes. Le conseil de classe, qui a de toute façon la main dans l’opération, même quand il y a des résultats externes, voit son importance et sa responsabilité remises en évidence pour toute la communauté scolaire et aux yeux de l’opinion publique. Il est forcé par les circonstances à accorder une attention plus grande à l’« évaluation au quotidien ». Si, en plus, dans les cas limites où l’élève aurait pu se rattraper grâce à ce dernier examen, le conseil de classe adopte la position selon laquelle le doute doit profiter à l’intéressé, loin d’être dramatique, la situation est plutôt rassurante. Elle inviterait à ne pas augmenter le recours aux examens. Ni aux recours…
Publié sur le site du Soir, le mercredi 24 juin 2015, à 19 h 23.