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Réussir avec fruit en politique

Il est devenu plutôt banal d’épingler la déglingue du politique, du système comme des acteurs. Le sujet est sérieux, mais un rien d’humour, en décrispant, ne peut pas nuire et pourrait même rendre l’analyse fructueuse.

En terre démocratique, existe-t-il une condition sine qua non pour que le régime porte ses fruits ? Un élément incontournable ? Ce pourrait être le trait d’union – ou de désunion – entre le citoyen et le politique. Ce lien s’avère à la fois premier et ultime. Dans le vote, il fonde le mandat confié par l’électeur à son représentant. Dans l’action politique, il demeure si le mandataire tient parole et reste digne de confiance, et donc d’être réélu. La qualité de cette relation conditionne aussi l’efficacité politique : une mesure prise ne sera agissante que si le citoyen collabore. La mise en œuvre sera d’autant plus performante que les exécutants seront convaincus, sinon enthousiastes. La question en vaut donc la peine : qu’est devenue aujourd’hui la relation entre citoyen et politicien ?

Si « c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre », la corbeille ne prête pas à sourire : abstentions massives aux élections, critiques négatives souvent assez proches du « Tous pourris ! », désintérêt et désengagement politiques de la jeunesse, méfiance et suspicions généralisées, efflorescence de groupements citoyens apolitiques… Bref, l’entente entre le consommateur et le producteur de politique se rabougrit comme une vieille pomme. Les raisons de la colère ne manquent pas.

Trouvons-les d’abord du côté des acteurs : les politiques pur jus, plutôt que d’avoir la pêche, ont la cerise. Suite aux agissements de certains d’entre eux, tous partis et tous pays confondus, la récolte est tavelée. Tel préfère aller aux fraises que de se presser le citron sur les difficultés du quotidien. Tel autre, en matière fiscale, passe à l’orange sans rougir, fort de la pseudo-légalité de ses procédés, et se retrouve parfois là où on lui apportera des oranges. Tel encore, quand l’intérêt public et le sien sont en balance, transige et coupe la poire en deux. Tel encore, gestionnaire de deniers publics, inquiet pour ses vieux jours, se garde une poire pour la soif. Et que dire de cet autre qui traumatise jusqu’à ses collaborateurs en pressant l’orange et en jetant l’écorce ?

En renfort des actes individuels critiquables viennent les mesures impopulaires : repousser la pension jusqu’à un âge où on risque de sucrer les fraises, lancer un saut d’index comme un obus en pleine poire – et s’applaudir ! –, se soucier d’une égérie aux yeux en amande plutôt que des impératifs de sa charge, se fendre la pêche devant les médias avec une autosatisfaction béate. Etc. Même en affirmant, la main sur le cœur, qu’il n’y a pas d’autre choix, et que toute autre voie est irresponsable, les politiciens peuvent-ils encore convaincre ? Lorsque les citoyens reçoivent continûment des coups sur le citron, communaux, provinciaux, régionaux, fédéraux ou européens, combien d’entre eux croient encore que ce prix garantit le salut ? Et combien se sentent les bonnes poires ?

La crise provoquée par l’afflux massif de réfugiés montre une fois de plus l’abîme qui sépare la réaction politique et le sentiment personnel de bon nombre de citoyens. Il serait pourtant défaitiste de postuler que la dégradation du lien entre le citoyen et le politique a atteint un point de non-retour. Mais, pour échapper à la déconfiture, les gouvernants devront s’astreindre à un effort plus haut que trois pommes. Peut-on espérer une convergence d’action vers cet objectif de réhabilitation, alors que, entre partis et dans les partis, la mode est plutôt à la chamaillerie pour des prunes, ou pour des queues de cerises, ou pour des nèfles ? Quelles que soient les divergences idéologiques sur les politiques à mener, la restauration du politique exigerait un consensus qui se traduise en actes au plus vite.

Et si, d’aventure, cette opération commune de survie donnait le goût d’une plus grande cohérence dans les décisions et entre les niveaux de pouvoir, ce serait la cerise sur le gâteau.

Publié dans La Libre Belgique, p. 53, le vendredi 11 septembre 2015.

Publié dansHumourLangue françaisePolitiqueSociété