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Comment peaufiner sa liberté d’expression ?

La liberté d’expression a envahi les espaces privé et public. Elle est mise à toutes les sauces, de la plus édulcorée à la plus épicée. Le principe est, d’une façon, très simple : il faudrait que tout individu qui veut s’exprimer puisse le faire, avec le fond et la forme qu’il lui plaît. Dès lors il réclame cette liberté et n’accepte, en matière de censure, que l’autocensure.

Cette aspiration remonte à la nuit des temps. Mais la question de la liberté d’expression se pose en termes différents. Le citoyen qui prenait la parole sur l’Agora d’Athènes ou sur le Forum romain avait un auditoire bien circonscrit. Le citoyen qui prend la parole sur les réseaux sociaux élargit son audience presque à l’infini. Impact phénoménal qui peut transformer le moindre propos en buzz, avec, parfois, d’énormes conséquences, en positif ou en négatif. Il est donc devenu urgent de légiférer en la matière, puisque l’autocensure ne suffit plus à réguler le flux irrépressible.

Pour chacun de nous, c’est une invitation pressante à améliorer notre liberté d’expression. C’est-à-dire à aiguiser notre liberté et à libérer notre expression.

Aiguise sa liberté celle ou celui qui s’apprend à voir plus loin que le bout de sa langue ou de sa plume. Qui ne succombe pas aux charmes trompeurs de l’immédiateté et d’une supposée spontanéité, mais leur préfère une distance suffisante pour garantir maturité et humanité. Qui parvient à maintenir une connexion entre son propre sentiment et la perception qu’en aura quelque interlocuteur que ce soit. Est vraiment libre celle ou celui qui se débarrasse non pas de toute contrainte, mais des contraintes forgées en elle ou en lui par les détours de son histoire personnelle.

Libère son expression celle ou celui qui enrichit inlassablement son bagage de mots, de phrases, de tournures, de figures, de nuances, de subtilités. Être libre de se dire, c’est disposer du maximum de moyens pour se dire. Dans sa profondeur, une personne humaine est tellement riche et complexe qu’elle n’a aucune chance de parler vrai si elle se cantonne dans un langage sommaire, approximatif, lacunaire, incolore ou quelconque.

Tout message que je formule, par ses formules mêmes, me raconte et me dévoile moi-même. Chaque mot nouveau que j’acquiers me complète, tout en appelant d’autres compléments à venir. Chaque expression nouvelle que je m’approprie accroît mon potentiel : mieux dire, c’est ipso facto mieux me dire. En affinant ma langue dite « maternelle », je m’affine moi-même. Je deviens de plus en plus libre de vraiment m’exprimer.

Bref, le champ non clos de la communication tous azimuts y gagnerait gros si les libertés et les capacités d’expression choisissaient cette voie de perfectionnement. Faut-il dire que la répression n’est pas la clef d’une évolution en ce sens ? La clef est tout autre : seules la famille et l’école peuvent, par l’éducation, fonder les bases d’un état d’esprit désireux de conquérir à la fois une liberté accomplie et une capacité d’expression expansive.

Une menace particulière a été évoquée récemment par Nadia Echadi[1] : le temps passé devant des écrans par les enfants et les jeunes. Avec des incidences, de son point de vue, sur l’acquisition du langage. L’écran sera-t-il le premier ennemi du progrès en communication ? Trop souvent fréquenté dès le plus jeune âge, handicapera-t-il la liberté et l’expression ? Car il asservit l’utilisateur plutôt que de le libérer ; il focalise l’attention sur les images qu’il impose, au grand dam du langage oral ou écrit.

Comment dissuader les écrans de monopoliser la curiosité, l’intérêt et le désir d’un enfant ? En offrant au futur adulte d’autres objets de concentration, d’engouement, voire de passion. C’est à ce prix qu’il se cultivera un jardin intérieur où germera, pousse après pousse, une liberté d’expression, qui se déploiera pleine et entière. Pourquoi pas même in fine, inéluctablement, sur un écran ?


[1]Dans quel état seront les milliers d’enfants qui subissent aujourd’hui les effets délétères des écrans ?, publié sur le site de La Libre Belgique, Opinions, le 1er juillet 2021.

Publié, le lundi 12 juillet, dans La Libre Belgique, p. 37, sous ce titre et sur le site de La Libre Belgique, à 11 h 50, sous le titre Pourquoi peaufiner sa liberté d’expression ?

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