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Étriqué !

La vraie politique est grande. Haute. Puissante. Quand Aristote qualifie l’homme d’« animal politique », entendons la formule comme un compliment, un constat en quelque sorte émerveillé : seul l’homme est capable de prendre en charge et d’organiser une communauté de valeurs, où s’installe un consensus sur ce qui est bien et mal, beau et laid, juste et injuste. Dans cette optique, le vêtement, l’uniforme qu’endosse l’homme politique apparaît large, très large ; pour le remplir, il faudrait de larges carrures. Or, par les temps qui courent et dans les difficultés présentes, malgré certains efforts méritoires, le politique n’est-il pas plutôt ressenti comme trop petit, étroit, voire souffreteux et rachitique ?

Ayons, quant à nous, l’esprit large. Il ne s’agit pas d’accabler le monde politique sans exception, mais de constater que, souvent, on y croit que l’habit fait le moine : l’apparence – indispensable pour appâter l’électeur – compte plus que le souci de l’intérêt commun. Il y a un peu de tout, dans la sphère politique comme partout.  Voyons ce que révèle la garde-robe des politiciens, de la tête aux pieds. Celui-ci travaille du chapeau, tandis que celui-là cherche à le faire porter à d’autres ; l’un prend ses virages sur les chapeaux de roue, l’autre ne songe qu’à attirer les coups de chapeau. Gros bonnets, têtes près du bonnet, sinon toquées, oui, on voit de tout.

Écoutez le débat politique et vous tombez sur un sieur qui veut faire croire qu’il faudra une main de fer dans un gant de velours, alors que, pour parler des chômeurs, il est loin de mettre des gants. Face à la crise, à l’en croire, il serait tout prêt à relever le gant ; mais il a plutôt l’air de quelqu’un à retourner comme un gant. Un autre, fort agité, affirme qu’il s’est toujours retroussé les manches ; mais nul n’ignore que, dans ses nombreuses fonctions successives, il s’est débrouillé comme un manche.

À la radio, vous entendez une voix feutrée qui promet que les autres partis vont ramasser une veste. Or personne n’ignore qu’il a retourné la sienne il y a peu, considérant que ce n’est pas à lui de se serrer la ceinture et que bonne renommée ne vaut pas mieux que ceinture dorée. Tout le contraire d’un sans-culotte au pantalon de bure à rayures, il n’a pas été loin de faire dans sa culotte quand la crise financière a éclaté. Comme c’est lui qui la porte – la culotte – dans son parti, il a craint d’en prendre une. Alors, pour détourner l’attention, il s’est lancé dans une pantalonnade, où il était le Monsieur Propre lavant le linge sale des autres, plutôt que dans sa famille.

Ce qui peut étonner aussi, c’est le jeu des alliances qui se dessinent ou voudraient s’esquisser. Même une savate cherche chaussure à son pied, mais le partenaire pressenti préfère traîner la savate. L’un se proclame, comme le fit jadis un ex-premier ministre français, « droit dans ses bottes », alors qu’il est plutôt dans ses petits souliers. Des matamores refusent d’être à la botte de quiconque, mais cette suffisance inspire plutôt de leur botter les fesses. De trop discrets, qui ont passé leur vie dans leurs pantoufles et en ont le moral dans les chaussettes, sont prêts à se mettre sous la botte de qui voudra… quitte à connaître des hauts et des bas.

Pareille extrême diversité accroît la responsabilité du citoyen, car c’est lui qui choisit puisqu’il élit. Le partisan d’une (r)évolution cherchera peut-être à repérer un candidat qui a l’intention d’organiser un fric-frac chez ceux qui ont à la fois le fric et le frac. Ou peut-être se tournera-t-il vers un(e) novice qui voit son entrée en politique comme une prise d’habit, ou de voile. Quant aux supporters du statu quo, seront-ils séduits ou non par ceux qui jettent le voile sur les difficultés du moment, ce qui leur évite d’enfiler une salopette ou un bleu de travail ? Qui peut savoir ?

De fil en aiguille, revenons-en à notre fil conducteur. Les goûts du citoyen en matière politique sont simples. Aux manœuvres politiciennes, aujourd’hui cousues de fil blanc, des barboteurs et les barboteuses, ils préfèrent les vrais patrons : ceux qui, sans cesse, sur le métier remettent l’ouvrage de l’intérêt commun, après l’avoir considéré sous toutes ses coutures. À ceux-là, spécimens plus que rares, l’habit politique ira comme un gant : ample et souple, ce vêtement leur siéra bien mieux qu’à des égotistes racornis et étriqués.

Publié dans La Libre Belgique, supplément « Momento », p. 3, le samedi 11 septembre 2010.

Publié dansHumourPolitiqueSociété