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Qui c’est qui s’y colle, à l’école ?

Plusieurs raisons inviteraient à associer la colle et l’école : non seulement la colle fait partie de l’arsenal scolaire de l’écolier consciencieux, mais elle oblige l’élève moins consciencieux à réparer par une punition, « en retenue », ses écarts de conduite. Une colle, c’est aussi une question très difficile. Sans oublier que, dans l’argot scolaire en France, la colle est l’exercice d’interrogation préparatoire aux examens et aux concours. Mais voici une raison beaucoup plus fondamentale et structurelle d’opérer le rapprochement : ce qui colle adhère. Et l’adhésion, de mon point de vue, pourrait figurer au premier rang des conditions nécessaires pour que l’école puisse fonctionner. Elle touche tous les acteurs de la situation, élèves, parents et professionnels de l’école, enseignants bien sûr, mais aussi éducateurs et directeurs.

L’adhésion de l’élève commence par un certain désir de savoir et d’apprendre, reconnu indispensable par les pédagogues, si l’on se fie à la formule simpliste et quelque peu irrévérencieuse qu’« on ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif ». Ce désir constitue la source la plus pure de motivation, combinant raison et émotion, et donc accompagnant pas à pas l’activité scolaire. Quel progrès serait possible sans un volontariat de base ? Mais le serait-il davantage sans une confiance en l’école et en ce qu’elle offre comme voie de formation et d’épanouissement ? Cette image positive s’esquisse dans le choix que l’élève et ses parents font d’une école plutôt qu’une autre.

De ce point de vue en tout cas, les décrets des deux dernières années portant sur les inscriptions, indépendamment de toutes considérations idéologiques, ont eu un effet désastreux, puisqu’un bien plus grand nombre d’enfants qu’avant vont se trouver dans une école qui n’est pas leur premier choix. Et leurs parents, qui se sentent dépossédés de leur liberté de chosir, auront bien de la peine à valoriser, à leurs propres yeux et à ceux de leur enfant, l’école qu’ils doivent aux aléas d’un tirage au sort, puis de désistements en cascade. Or, l’adhésion des parents vis-à-vis de l’école est un facteur déterminant. Pourquoi, en général, les enfants d’enseignants obtiennent-ils des résultats scolaires favorables ? Parce que, forcément – et jusqu’ici – les enseignants tiennent l’école pour importante et y croient : ils adhèrent plus que la moyenne.

A l’évidence, si elle veut réussir, l’école est la première à devoir adhérer à l’école, à croire en elle-même. Tout comme l’artisan qui ne peut suspecter ses outils de vouloir le trahir. La suspicion tue. Les méthodes d’aujourd’hui, dites « de pilotage », risquent pour le moins d’induire que les acteurs de l’école n’ont pas la compétence ni la personnalité ni la formation suffisantes pour se piloter eux-mêmes. Au lieu de stimuler, elles pourraient, au mieux, anesthésier, au pis, « décoller » de l’école même ses supporters, désenchantés.

Ainsi s’explique d’ailleurs le taux de réussite plus que moyen des multiples réformes. Comme l’a écrit récemment V. Dupriez[1], « aucune autorité pédagogique n’a les moyens d’imposer une réforme pédagogique. L’action pédagogique et peut-être surtout la relation pédagogique sont trop secrètes pour être enfermées dans un manuel ou un guide de travail. Pour garantir la mise en œuvre d’un changement, les autorités ont le plus souvent besoin de l’adhésion des enseignants à leur projet. » Revoici l’adhésion, qui n’est imaginable que de la part de gens qui se sentent respectés et reconnus pour ce qu’ils sont, compétents et responsables, c’est-à-dire autonomes.

L’adhésion d’un enseignant vis-à-vis de la matière à laquelle il ouvre les élèves, quand elle est grande, devient passion. Quels souvenirs marquants gardons-nous, les uns et les autres, de notre parcours scolaire ? Le plus souvent, c’est l’image d’un professeur passionné et (presque) nécessairement passionnant. Il y croyait : en sa matière, en la formation, en l’éducation, en l’humanité à construire. Il allait de l’avant. Il se « pilotait » lui-même, dans le respect de sa mission. Que présager de demain si – pure hypothèse – les tracasseries des technocrates en arrivaient à étouffer sous un fatras administratif la passion d’enseigner et à exiler les passionnés vers d’autres tâches et d’autres cieux ?

La fameuse « autonomie », que plusieurs partis ont brandie comme leitmotiv pour l’enseignement dans la récente campagne électorale, amorcerait-elle un mouvement sensible ? Recréer la possibilité d’adhérer ? Ce sera facilité si les dirigeants politiques eux-mêmes – à commencer par la Ministre – se situent autrement que comme d’impatients gestionnaires des modes pédagogiques fluctuantes. Ils pourraient, eux aussi, y croire et « s’y coller ». A des décrets tâtillons censés « recoller les morceaux », ils préféreraient un manifeste fort d’un enthousiasme communicatif, qu’ils intituleraient : « J’adhère ! »


[1] Sous la direction de Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle, Enseigner, Paris, P.U.F., 2007, p. 173.

Publié dans La Libre Belgique, p. 7, le samedi 22 août 2009.

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