À quelles sauces l’enseignement secondaire va-t-il être mis par la nouvelle législature ? Écoutons le propos du document Fédérer pour réussir, qui constitue la déclaration d’intentions de la nouvelle majorité à la Fédération Wallonie-Bruxelles : Dans la foulée de la mise en œuvre progressive des évaluations externes et de la révision des référentiels, le Gouvernement généralisera progressivement une épreuve externe certificative en fin de secondaire. Et voilà, entre autres, relancé le projet d’une espèce de « baccalauréat » qui viendrait couronner le système des évaluations externes en train de se généraliser. Cette épreuve comprendra un tronc commun de questions identiques pour tous les élèves en français, mathématiques, sciences et langues modernes.
Est-ce un bon moyen d’aller vers une école qui construit pour la vie, où il est primordial que le désir le plus intime dessine le destin de chacun, comme le veut le même document, une école qui promeut la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves et prépare des citoyens responsables, comme le veut le décret « Missions » de 1997 ? Rien n’est moins sûr.
Qui institue une épreuve externe d’évaluation déplace le centre de gravité : l’intérêt et l’énergie se focalisent sur l’examen et, par contrecoup, se détournent de la personne de l’élève. Il s’agit de standardiser, de conformer et non d’ouvrir à la diversité et à la créativité. Il s’agit de préparer l’élève à entrer le plus efficacement possible dans le cadre prévu et non de lui laisser écouter son désir le plus intime. Ce n’est pas non plus vraiment l’occasion d’un recentrage sur la matière enseignée, mais plutôt d’une concentration la manière d’évaluer. Les exemples ne manquent pas, à différents niveaux.
Le plus connu est sans conteste le CEB. Depuis qu’il existe, des – les ? – écoles collectionnent les questionnaires. Certaines ont fait de la préparation du CEB l’objectif principal de la sixième année primaire et « entraînent » les élèves à apprivoiser les types de questions posées. D’autres écoles, plus critiques et moins portées à se laisser formater, limitent cet entraînement à quelques semaines, voire quelques jours. Mais aucune n’ose s’en dispenser tout à fait. Pourquoi l’énergie consacrée par chaque école à pouponner le CEB et celle – énorme – consommée pour organiser l’épreuve ne serviraient-elles à mieux prendre en compte la diversité des élèves et leurs difficultés individuelles ?
Au rayon des épreuves qui catalysent le dévoiement des efforts, un autre cas comparable, mutatis mutandis, est l’examen d’entrée en ingénieurs. Celui-ci polarise l’activité des jeunes qui s’y préparent et des enseignants qui les y préparent, en fin de secondaire ou en « spéciale maths ». Là encore, l’échauffement s’opère à partir de l’historique des questionnaires antérieurs. Là encore, c’est l’accoutumance aux « tics de la maison » qui prévaut sur la préoccupation de bien former les étudiants. Et les étudiants qui ont réussi ne perçoivent pas le rapport entre le contenu de cet examen et les exigences précises des études d’ingénieur, auxquelles une telle somme de travail aurait pu les préparer. Est-il opportun, pour être autorisé à aborder des études difficiles, de démontrer seulement qu’on est capable de bachoter en vue d’un examen ?
Comment créer un bac, ou son équivalent, sans créer ipso facto les conditions d’un bachotage ? Comment prétendre que l’école doit aider chacun à tracer son destin unique et, dans le même temps, concentrer regard, intérêt et volonté sur un paradigme standardisé ? Comment ériger la conformité en idéal, en espérant prémunir les citoyens du conformisme ? Ceux-ci ne seraient-ils pas déresponsabilisés, béatement heureux de se découvrir ajustés à un gabarit du « bon citoyen » décidé et dessiné par « ceux qui savent » ? Faute de lever ces contradictions, le bon génie de l’enseignement risquerait de ne pas conforter le projet qu’il a lui-même conçu pour l’école, voire de le faire capoter.
Publié comme « Carte blanche » dans le Soir du jeudi 21 août 2014.