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Persifflages et autres quolibets

Le persifflage est un vice à la mode, et, s’il faut en croire Molière, tous les vices à la mode passent pour vertus. Le paysage quotidien fourmille de ces persiffleurs, qui « tournent quelqu’un en ridicule en employant un ton de plaisanterie ironique ou en feignant de le louer, de lui témoigner de la sympathie, de l’intérêt ». Cela fait rire et le rire fait vendre. L’humour est devenu une denrée tellement indispensable qu’on s’ingénie à lui ménager une place même dans les circonstances les plus dramatiques. Mais le label « humour » suffit-il pour conférer à un produit une haute qualité humaine ? Cela mérite quelque réflexion.

Bien sûr, notre époque n’a pas inventé la critique, la censure, la satire, la raillerie, pas plus que le pamphlet ou la diatribe. L’attitude qui consiste à épingler, voire à stigmatiser les défauts et les travers relève de l’universel. Plus d’un auteur l’ont exploitée comme filon littéraire et élevée au rang d’art. La dérision a ses lettres de noblesse. Le principe n’est donc pas en cause. Mais sa mise en œuvre contemporaine a innové en matière de dosage.

Dosage du persifflage par rapport à l’ensemble des propos tenus.

À l’évidence, l’évolution des médias et l’omniprésence de la Toile ont multiplié quasi à l’infini la possibilité de critiquer et de tourner en ridicule. Auditeurs et téléspectateurs ont ainsi vu des journalistes, écrivains, humoristes… se muer en « chroniqueurs » dans mille et une émissions jumelles ; sur mille et une cibles, ils décochent des flèches assez affûtées pour flatter l’audimat. Quant à l’internaute, s’il n’a pas répudié les réseaux sociaux, il est pris dans un torrent de réactions en tous genres, parmi lesquelles quolibets et sarcasmes trouvent une place de choix.

Dosage différent aussi dans l’agressivité des moqueries et des traits d’esprit.

Qu’il s’agisse de réagir à l’actualité politique et aux faits de société ou de critiquer l’œuvre d’un auteur, le matériau semble avoir posé aux décrypteurs la seule question : sur quoi est-il possible d’ironiser ? Quitte à simplifier jusqu’à la caricature, un « Flop ten » rassemble dix faits marquants de la semaine et la réduit à un ramassis de gaffes et de bouffonneries. Un invité du monde politique ou culturel se voit interpellé et interrogé sans concession, mais aussi sans respect ni empathie. Les interviewers « gentils » sont passés de mode. Bousculons, brusquons, malmenons quelque peu. Telle est la ligne de conduite considérée comme « médiatiquement rentable ».

Sur internet, il n’est pas rare – c’est le moins qu’on puisse dire – que l’interactivité se transforme en foire d’empoigne. Dans les forums et les réseaux sociaux, trop souvent le brocard et l’insulte se donnent libre cours, parfois sous le couvert de l’anonymat. Entre adolescents, la hargne et la méchanceté des propos laissent pantois les témoins, qui les découvrent avec effroi quand un cas de harcèlement tourne mal.

Au registre du sarcasme, sans conteste, le rythme s’est intensifié, le ton s’est durcit. Glissement culturel sans grande portée ? Il serait inconséquent de l’affirmer. Car les railleries acerbes sont parmi les prémices de l’irrespect et de la violence. Quand l’un et l’autre se banalisent grâce à la complaisance des médias qui en font leurs choux gras, le risque n’est-il pas grand qu’ils tendent à se normaliser ? Dans l’ambiance ainsi créée, le curseur de l’intolérable se trouve déplacé et les passages à l’acte violent se multiplient et se diversifient.

Impossible d’évaluer l’incidence précise de ce contexte sur la décision du terroriste, du hooligan, du casseur, du tueur fou  lorsqu’ils entrent en action. Mais comment écarter la logique élémentaire ? En matière d’humanité aussi, d’innombrables déficits considérés – à tort ? – comme mineurs, ne dégagent-ils pas la voie pour d’autres déficits majeurs ?

Publié dans La Libre Belgique, p. 53, le vendredi 24 juin 2016.

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