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Rat vilain ou rat sympa ?

Impressionnante par les temps qui courent, sa prolifération a ramené le rat sur le devant de la scène. Curieux animal, qui a priori éveille plutôt des sentiments négatifs, hostilité, peur, répugnance, voire dégoût. Mais peut-être verrez-vous aussi tel sympathisant des rongeurs se promener avec son petit rat familier sur l’épaule.

Dans les mythologies grecque et indienne, le dieu rat est également ambigu : il colporte la maladie, frappant hommes et récoltes, alors que c’est lui aussi, dieu des moissons, qui guérit et assure la prospérité.

L’ambivalence au premier degré se retrouve au second, quand le rat sert de métaphore pour décrire l’homme, ses défauts surtout, mais quelquefois ses qualités. Ainsi, aux deux niveaux, il arrive à être vilain ou sympa.

 Sur le plancher des vaches, il est d’abord vilain de se répandre partout à vitesse grand V. Paris compterait plus de six millions de ces rongeurs. Les statisticiens tentent de nous rassurer : cela ne fait qu’1,75 rat par habitant. La Belgique aussi subit cette infestation, pas étonnante puisqu’une femelle peut se vanter d’une descendance pyramidale – théorique, heureusement – de mille rejetons par année. Les dératiseurs sont sur la brèche, mais la tâche titanesque les dépasse : dans leur corporation aussi, les rats quittent le navire.

Son aura négative doit beaucoup aux maladies que l’animal est censé véhiculer, par exemple quand il propage avec Camus la peste dans les rues d’Oran. La leptospirose et la salmonellose ont aujourd’hui pris le relais dans les inquiétudes suscitées par l’inquiétant rongeur. Oh ! le vilain !

Pourtant, même à Paris, l’activité des rats peut avoir quelque chose de sympa : leur consommation de déchets serait d’environ 800 tonnes par jour, soit 292 000 tonnes par an[1]. Il paraît aussi que, sans les rats, égouts et canalisations seraient très souvent bouchés. Autre utilité, plus significative encore : des similitudes génétiques avec l’homme permettent aux chercheurs de tester sur les rats des traitements destinés à l’homme. Là, il se montre plutôt sympa.

On le constate : la balance incline d’un côté ou de l’autre selon le point de vue adopté. Elle hésite de même lorsqu’on s’intéresse au rat métaphorique dans ses rapports avec l’humain. Mais le négatif pèse sans doute le plus lourd.

Quand l’humain est qualifié de rat, le mot désigne un avare ou un cupide ou un gaspilleur ou un destructeur. Ou encore un fouineur. L’homme est aussi capable de s’ennuyer comme un rat mort. Souhaitons pour lui que son logement ne rappelle pas à un trou à rats. Que les traits de son visage n’évoquent pas une face de rat. Sans laisser de côté le rat d’hôtel qui s’introduit dans les chambres pour dévaliser l’occupant. Tous ces emplois du rat ne contribuent pas à sa gloire.

En plus souriant, être « comme un rat en paille », c’est se trouver vraiment à l’aise, être dans son élément. Quant à la personne qui s’entend appeler « mon petit rat », elle ne prend pas la mouche, mais trouve ce « rat » gratifiant. Et qui n’aura pas plutôt de la bienveillance que de l’animosité pour les petits rats de l’opéra ? Et qui reprochera au rat de bibliothèque de passer du temps à compulser des livres, même si cela sous-entend qu’il cherche un peu trop la petite bête ?

Que dire si les bibliothèques perdent de leur aura sous les coups de boutoir du numérique ? Pourquoi ne pas suggérer des expressions nouvelles, comme « rat de web » ou « rat de réseaux » ? Cela enrichirait la panoplie des rats sympas.

Je ne sais pas quel impact ce va-et-vient entre les pôles négatif et positif peut avoir sur nous. Allons-nous pour la cause trouver plus attachant ou plus rébarbatif le rat que nous aurons vu traverser notre jardin comme une flèche ? Ce n’est pas sûr.

Et si nous préférions entendre là une invitation que nous lance le rat à nous méfier des positions extrêmes, pour privilégier la nuance et l’équilibre ? L’ambiance sur les réseaux sociaux n’y gagnerait-elle pas si y proliféraient les usagers préférant le rationnel à la ratonnade ?


[1]     https://blog.defi-ecologique.com/rat-utile/

Publié le 15 décembre 2023 dans la Libre Belgique, p.35, et sur le site de La Libre Belgique, le même jour à 12 h 37, sous le titre « Faut-il aimer ou détester les rats ? ».

Published inHumourLangue françaisePhilosophie pratique