Dès 1856, dans sa première édition du Nouveau dictionnaire de la langue française, Pierre Larousse introduisait un appendice consacré aux locutions latines. Il avait amorcé là les sympathiques pages roses du Petit Larousse, reprises par ses éditions successives.Si vous vous y plongez, vous goûterez sans doute la saveur de ces brèves sentences, dont beaucoup s’apparentent à des maximes de vie, qui traversent les âges.
À commencer bien sûr par le Carpe diem d’Horace, qui nous invite à « cueillir le jour »[1] au moment où il passe et à en profiter. Pour y arriver, age quod agis, « sois tout entier à ce que tu fais », en acceptant que « l’erreur est humaine » – Errare humanum est – et que « le temps fuit, irréparable » – Fugit irreparabile tempus. Quant à la paronomase Ad augusta per angusta,ellerappelle que c’est « par des voies étroites qu’on atteint des résultats respectables ».
Heureusement, labor omnia uincit improbus, « un travail sans relâche triomphe de tout ». En prenant le temps qu’il faut : Festina lente, « Hâte-toi lentement ». En comprenant que « nous n’avons pas tous tous les talents », non omnia possumus omnes. Avec la tranquille confiance qu’omnia uincit amor, que « l’amour triomphe de tout ».
À côté de ces préceptes adressés à tous et recevables par qui veut bien, certains découvriront des invitations plus spécifiques et reconnaîtront, ici ou là, leurs propres façons d’être.
Dans l’univers politique, qui d’entre nous n’a pas repéré les tenants du Diuide ut imperes – « Divise pour commander » – du In medio stat uirtus – « La vertu se trouve au milieu, au centre » –, du Aquila non capit muscas – « L’aigle ne prend pas les mouches » –, du Panem et circenses – « Du pain et des jeux » – pour désamorcer l’esprit critique, voire du Magister dixit – « Le maître l’a dit » – pour couper court à toute contestation en se croyant le seul inspiré ?
Sans oublier que si uis pacem, para bellum, « si tu veux la paix, prépare la guerre », certains veulent parfois une guerre qui ne prépare aucune paix. Et quel dirigeant n’a jamais été tenté de penser que qui nescit dissimulare, nescit regnare, « qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner » ?
Quant au citoyen, il assiège les politiques pour exiger res, non uerba, « des actes, non des paroles », de tout temps, mais a fortiori quand une crise de l’énergie frappe de plein fouet.
Dans le champ de la justice aussi, il y a à entendre. Is fecit cui prodest, « Celui qui l’a fait est celui à qui cela profite », s’adresse à l’enquêteur. Tout comme uerba uolant, scripta manent, « les paroles volent, les écrits restent ». Testis unus, testis nullus, « Témoin unique, aucun témoin », intéresse le juge ou le juré dans un procès. Et tous apprennent un jour que dura lex, sed lex, « la loi est dure, mais c’est la loi ». Rigidité tempérée par la mise en garde cicéronienne summum ius, summa iniuria, « trop de droit mène à l’injustice ».
Les relations humaines ne sont pas laissées de côté. Qui bene amat, bene castigat, « qui aime bien châtie bien », pour inciter à la bienveillance même dans la sanction. Primum uiuere, deinde philosophari, « d’abord vivre, ensuite philosopher », pour celui qui se perd dans les idées sans se préoccuper d’abord du nécessaire vital. Veritas odium parit, « La vérité engendre la haine », pour celui qui réagit agressivement face à la sincérité. Medice, cura te ipsum, « médecin, soigne-toi toi-même », pour celui qui veut imposer aux autres ce qu’il ne s’impose pas à lui-même. Qui se réfère à ces maximes séculaires n’est pas forcément qu’un laudator temporis acti, un « laudateur du temps passé ». Il peut avoir la conviction que l’expérience humaine se raconte depuis toujours en des termes quasi intemporels. Même si ces sentences ont pris de l’âge, les écouter crée une rencontre avec leur auteur, connu ou anonyme, porteur d’humanité. Celui-ci pourrait dire, avec Térence : Homo sum : humani nil a me alienum puto. « Je suis homme. Rien de ce qui est humain ne m’est étranger. »
[1]Les traductions, adaptées, se trouveront, à chaque fois, entre guillemets.
Proposé aux rédactions de La Libre Belgique et du Vif/l’Express, ce texte n’a pas trouvé grâce aux yeux des responsables respectifs, sans doute peu latinistes dans l’âme.