Aller directement au contenu

Prendre parti pour le mouvement ?

Il flotte dans l’atmosphère de certains partis politiques un effluve de volonté de se recycler en « mouvements ». Un peu comme si l’étiquette de « parti » devenait trop lourde à porter ou trop peu porteuse d’un point de vue électoral.

Il y a quelques années, suite aux abus financiers liés au fonctionnement de plusieurs partis[1], j’avais  posé la question de savoir si la suppression des partis ne désinfecterait pas la société d’un mal tenace. Alors, plutôt qu’un parti, pourquoi pas un mouvement ? À condition que le changement d’étiquette entraîne une évolution des contenus et un abandon des pratiques malsaines.

Le chantier ne va pas de soi : comment déconstruire un parti et réutiliser les matériaux pour reconstruire un mouvement, en remplaçant les vices, pas tellement cachés, par des avantages nouveaux ? Un vrai défi, car l’architecture d’un parti, au fil des ans et des réformes, s’est progressivement bétonnée autour de la clef de voûte appelée Président.

Souvent, celui-ci s’est érigé en maître d’œuvre et a exigé que tous les exécutants restent dans les clous. Il peut être une scie, quelquefois être marteau ou même péter un boulon, il n’en demeure pas moins indéboulonnable. Il a (presque) tous les droits. Par exemple, il estime qu’il peut, lui, traverser en dehors des clous. Savonner la planche sous les pieds de ceux qui lui déplaisent. Rester de marbre face aux sollicitations pressantes, même justifiées. River son clou à un homologue plutôt que de dialoguer pour chercher un compromis. Monter sur les planches lorsqu’il est contacté par les médias et se prendre sans cesse et sans vergogne pour le clou du spectacle. Jeter la pierre aux opposants. La pierre brute, fruste. Jamais la pierre polie. Ni la pierre philosophale.

Le catalogue n’est pas exhaustif. Heureusement il ne recense pas uniformément tous les présidents de partis. Même ceux d’entre eux qui y retrouveraient tel ou tel de leurs traits ne l’affichent pas à tous moments. Aux citoyens que nous sommes de repérer qui cumule les symptômes d’un pouvoir exagéré et dévoyé.

Un « mouvement », s’il veut se démarquer du parti, suppose sans doute un tout autre type de présidence. Par exemple, la collégialité, qui pourrait y prendre la place de l’autocratie et laisser le parti se façonner grâce à l’inspiration des simples ouvriers.

Acceptons le constat que, dans la construction des majorités et des accords, le parti ne casse pas des briques. Dès lors, de quel matériau pourrait être bâtie la nouvelle maison ? Comme chez le deuxième des trois petits cochons, le bois pourrait servir, même s’il résiste moins au loup que la brique et le ciment. Le proverbe ne dit-il pas qu’à vouloir trop avoir, parfois l’on perd tout ?

En lieu et place de l’(hyper)président, la maîtresse poutre serait les gens motivés qui décident de se mettre en mouvement. Pour inverser ces pôles, il y aurait du pain sur la planche. Ce n’est pas pour rien que l’entreprise a été qualifiée de « refondation ». Quand on réutilise les reliefs d’une ancienne bâtisse, la vigilance d’une expertise s’impose : il faudrait écarter les poutres vermoulues et les planches pourries. Non dans un processus autoritaire mené par un cacique ou par une oligarchie, mais dans une démarche où la participation constituerait la planche de salut.

Les positions extrêmes s’avéreraient peu constructives : considérer que le passé ne vaut pas un clou ou qu’il doit demeurer comme une vis sans fin. Avec un sens confirmé des nuances et du juste milieu, un nouvel architecte – impossible de faire l’économie d’un meneur – resterait ouvert aux suggestions des non-architectes. Car, sans être spécialiste en la matière, chacun peut avoir des idées architecturales tout à fait exploitables par un spécialiste.

Construire tous ensemble est déjà plus difficile et plus périlleux que de (croire) construire tout seul ou à quelques-uns. Mais une fois l’édifice bâti et les plâtres essuyés, n’est-il pas plus délicat encore de maintenir, entre tous ceux qui l’habitent, une connivence positive et dynamique ? Si les portes sont laissées ouvertes et qu’il n’y ait pas de droit d’entrée, quelle gageure de garder une ligne directrice sans qu’elle se mue en ligne dirigiste. N’empêche que l’entreprise est stimulante. : une fois le parti parti, tout faire pour que son substitut ne se réduise pas à un mouvement rectiligne uniforme.


[1]https://www.lalibre.be/debats/opinions/2017/07/18/ces-partis-politiques-qui-couvrent-des-brebis-galeuses-provoquent-la-nausee-opinion-HGET7GWJ2JDCHPI4N2CIBLN3VI/

Publié sur le site du Vif/l’Express, le vendredi 24 septembre 2021, à 11 h 06.

Publié dansDémocratieLangue françaisePolitique