Fable prête-à-porter
Ils ne s’étaient jamais causé,
Tant ils préféraient s’ignorer.
Que voulez-vous ? Chacun son monde.
Faut-il toujours qu’on corresponde,
Quand les profils sont différents
Et le profit peu alléchant ?
D’un côté la cravate,
Somme toute assez plate.
De l’autre un bermuda,
Au langage assez plat.
Ouvrez la garde-robe.
Que nul ne se dérobe.
Il faut parfois vaincre l’instinct
Et libérer le clandestin
Pour que deux êtres disparates
Au face-à-face s’acclimatent.
Le bermuda d’abord
Se pose en matador :
« Comment, vieille chouette ?
Vous battez en retraite ?
La mode est plus relax.
– Je vous en vois furax. –
Vous datez d’une époque
Dont plutôt on se moque.
Même des professeurs,
Sans jouer les farceurs,
Viennent devant la classe
Montrer avec audace
De robustes mollets,
Qu’avant on admirait
Au jardin, en vacances,
Dans les lieux de plaisance.
L’enseignant magistral
Descend du piédestal
Et il démystifie
Ce qui l’identifie.
La cravate au placard !
Ricanent la plupart.
C’est bouclé, ma cocotte,
Je porte la culotte. »
La cravate, le bec dans l’eau,
Se ressaisit, monte au créneau :
« Ah ! tu es un peu court, jeune homme.
Il y a plus à dire, en somme.
Je te ferai, mon bon ami,
Bien mieux connaître qui je suis.
Du vrai sérieux je suis le gage,
Des gens sans faille l’apanage.
Je certifie à qui me voit
Que mon porteur aime la loi,
Qu’il m’arbore comme un symbole
Qui donne poids à sa parole.
Oui, il n’y a pas si longtemps,
J’accompagnais les enseignants,
Leur conférais comme un statut,
Un prestige dans l’institut,
Autorité près des élèves
Que le négligé lui enlève.
Le professeur en bermuda
S’est départi de son aura,
De peur d’encourir le reproche
De ne pas se faire assez proche.
On m’a gardé chez les banquiers
Et en odeur de sainteté.
Je reste signe du solide,
Compagne de ceux qui décident.
Quel argument est le plus fort ?
Qui a raison et qui a tort ? »
Simple détail vestimentaire ?
Chambardement d’itinéraire ?
Nos deux compères se sont tus.
Que le sujet soit débattu.
Ami lecteur, à toi de dire
Quel candidat tu veux élire,
Où tu mettras ton essentiel,
Car l’esprit et le matériel
Bien souvent s’entrelacent
D’une étreinte tenace.
Si tu changes l’habit,
Le moine change aussi.