Destinée à l’électeur prudent, cette fiche vise à lui permettre d’éliminer de son bulletin de vote les candidats indésirables. En tête de ceux-ci, l’emmerdeur – éventuellement l’emmerdeuse – politique. Comment définir le profil ? C’est l’être dont la simple présence grippe instantanément tous les mécanismes politiques, du plus simple au plus complexe. L’empêcheur de danser en rond par excellence. De danser, tout court. D’avancer.
Quels critères pourraient servir à détecter le produit de cet individualisme exacerbé qui caractérise quelques ambitieux débridés ? Essayons de les préciser.
D’abord, vous remarquerez que son expérience en politique ne remonte pas très loin. Si un vieux briscard politique est encore là où il est, c’est qu’il maîtrise l’art du compromis intelligent et possède un sens assez développé du consensus. Donc, neuf fois sur dix, vous ne trouverez l’empoisonneur recherché que parmi les « jeunes qui montent parce qu’ils écrasent tout sur leur passage ».
Une assurance, apparemment sans faille, lui confère un comportement bien typé. Un sourire affiché – et forcé ? –, quel que soit le sujet en cause, fût-il très sérieux. Le pas rapide de qui n’imagine même pas un obstacle sur sa route. Le geste coupant de qui se croit et se veut seul capable de trancher. Le propos affilé de qui estime que le premier à mordre se fait mieux respecter.
Son culte de l’omniprésence se double forcément d’une fringale de médiatisation. Quel canal plus décisif que les médias, en effet, pour se multiplier et rendre son image tellement familière qu’on vous croirait indispensable ? Mais l’enquiquineur politique a d’autres subtilités. Vous entendrez souvent de sa part des « déclarations » qui relèvent du chantage pur et simple : par exemple, annoncer comme acquis un accord qui n’est pas conclu, afin de l’imposer à l’adversaire comme un fait accompli.
Sa mauvaise foi vient à la rescousse en cas de nécessité. Une action ou un propos répercutés par les médias choquent-ils l’opinion publique ? Qu’à cela ne tienne, démentir n’a jamais tué personne : même contre tout bon sens, haro sur les méchants journalistes, accusés de ne pas bien comprendre ou de travestir la réalité !
Son nombrilisme, combiné avec l’inexpérience, l’amène en général à inonder les réseaux sociaux de messages spontanés, qui font l’économie d’une réflexion approfondie. C’est qu’il s’agit de rejoindre l’électeur non pas dans un échange de vues argumenté, mais dans l’immédiateté d’émotions fortes qu’on imagine partagées. Et nous retrouvons à ce tournant un indice déjà évoqué : l’art consommé de chercher noise aux opposants à coups d’à-peu-près et d’insinuations perfides.
Sa loyauté à géométrie variable contamine et envenime discussions et négociations. Face à ce trublion tapageur, l’interlocuteur ne sait jamais où on en est : tout élément considéré comme acquis par les négociateurs peut, à tout instant, être balayé au nom de la défense d’intérêts prétendus supérieurs ou plus fondamentaux. L’opportunisme est honoré comme le guide suprême.
Son admiration sans frein pour son propre ego l’entraîne à transformer la politique en un champ clos où s’affrontent des individualités, éventuellement porteuses d’idées. Pourquoi pas plutôt un espace où se confrontent les idées, portées et défendues par de modestes individus ?
Ces quelques indications suffiront-elles à documenter l’électeur ? Du moins s’il est convaincu que pareille silhouette ne circule pas bien dans les allées du débat démocratique. Cette liste de critères n’a rien d’exhaustif. Chacun la complétera aisément de ses constats personnels.
L’Histoire nous avise que ce phénomène n’est pas que contemporain. Mais la circulation de plus en plus rapide et désordonnée de l’information, vraie ou falsifiée, accroît les moyens d’action et de nuisance de l’emmerdeur politique. Utilisons l’isoloir pour lui suggérer de trouver un autre emploi. Le présent portrait, qui pourrait y aider, se veut général et impersonnel. Toute ressemblance avec des personnages concrets, anciens ou modernes, serait le fruit d’un hasard malencontreux.