Tout observateur du jeu politique actuel ouvre des yeux ronds.
En bien des circonstances déjà et en beaucoup de lieux, il a pu s’étonner de constater, chez certains citoyens, une crédulité faramineuse. Tel candidat donne sa parole sur la position qu’il prendra s’il est élu, qu’il s’agisse d’alliance ou de mesures précises. Il est cru. Une fois face au pouvoir, il manque à sa parole sur un ou plusieurs points. Les confiants se muent en naïfs : ils admirent les justifications de bouts de chandelles qu’on leur fournit. Et souvent, les élections suivantes ne révèlent pas de sanction de la part de l’électeur. Apparemment, le crédit accordé au programme de ce candidat déloyal reste entier, quand il jure croix de bois, croix de fer, qu’il agira de telle ou telle manière. C’est plus que de la crédulité.
Ailleurs, un politique empêtré dans des affaires de financement illégal de campagne nie l’évidence : il ne connaît pas cet individu à côté duquel on le voit dans tous les meetings. Qu’à cela ne tienne, ses supporters hurlent au complot et y voient une raison de le soutenir davantage.
Ces cas et d’autres nombreux déstabilisent la démocratie. Pour pouvoir vivre et survivre, elle a besoin du citoyen. C’est lui qui constitue l’élément clef puisqu’il décide à qui donner sa voix pour le représenter politiquement. La diversité des citoyens fonde et enrichit la démocratie. Mais le système postule des citoyens de bonne foi, capable d’appeler un chat un chat et de préférer la vérité au mensonge. Comment le pourraient-ils sans discernement critique ?
Dans les derniers mois, on a vu fleurir de nouveau l’exploitation pleine et entière de cette « jobarderie traditionnelle ». Un candidat a franchi toutes les lignes rouges : insultes, discriminations en tous genres, invectives haineuses, promesses à l’évidence – mais pour qui ? – irréalisables, etc. A-t-il assorti ses serments d’un « cochon qui s’en dédit » ? Toujours est-il qu’à peine élu, il n’hésite pas à mettre au panier tout ce qui n’était pour lui qu’artifice électoral. Mais artifice seulement possible parce qu’il existe assez de citoyens pour croire l’incroyable et faire confiance aux tartufes.
Parallèlement à cette efflorescence du mensonge politique qu’on pourrait qualifier avec regret d’« habituel », on a vu que les réseaux sociaux offraient à la contrevérité des possibilités multipliées à l’infini par rapport à celles des médias traditionnels.
Lors de la campagne électorale américaine, il vous aurait été possible de lire ainsi – et de croire ? – que le Pape François s’était déclaré favorable au milliardaire Trump, que Denzel Washington avait viré sa cuti, cessant son soutien aux démocrates pour se joindre aux trompettes républicaines, que le couple Clinton avait acheté une villa valant deux cents millions de dollars et qu’Hillary Clinton était impliquée dans un contrat d’armement de cent trente-sept millions de dollars. Toutes ces « informations », qui ne reposent sur aucun fondement, ont été relayées par des centaines de milliers de citoyens américains. Le débat est ouvert – et le restera – pour savoir si cette profusion de tromperies a pu être décisive dans l’orientation des votes.
Toujours par la voix des réseaux sociaux, en France, un des candidats à la primaire de la droite a été accusé d’avoir financé la construction d’une mosquée qui n’existe pas et son prénom Alain transformé en Ali pour signifier qu’il aurait des accointances avec les salafistes et des tendances antisémites. Là encore, quelle influence possible sur ceux qui prennent tout cela au premier degré ?
Où est passé l’esprit critique des consommateurs de promesses électorales et d’informations ciblées ? C’est un peu comme si l’avalanche de données avait fini par désespérer celui qui les reçoit d’en faire le tri. Les réseaux sociaux ont accentué le phénomène en ajoutant aux mensonges une supposée caution des amis qui les colportent sans discernement.
Inutile de chercher plus loin la priorité absolue qui s’impose à un cours de citoyenneté. Mais ce sont l’école et l’éducation dans son ensemble qui sont appelées à renforcer ce qui existe et à inventer ce qui n’existe pas encore pour former les citoyens indispensables à la démocratie, capables de discernement et habitués à exercer leur esprit critique.
Publié sur le site du Vif/l’Express, le lundi 28 novembre 2016, à 12 h 16.