Des situations extrêmes marquées par la radicalisation de jeunes occidentaux sont venues renforcer l’idée d’instaurer un cours de citoyenneté dans l’enseignement. Pourquoi pas ? Il y a sûrement des choses intéressantes à découvrir et à apprendre à propos du citoyen réputé « modèle » et du bon usage de la société. Mais est-ce dans un cours scolaire que l’individu acquerra un profil de citoyen ? Cela mérite examen. Et l’apparente unanimité d’un consensus sur ce point pourrait étonner.
D’abord parce que cette position semble reposer sur un a priori : il n’y aurait pas jusqu’ici dans l’école d’apprentissage de la citoyenneté ? Or par le décret « Missions » du 24 juillet 1997, les pouvoirs publics ont assigné comme tâche à l’école de « préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ». Dès lors, tous les cours ont été appelés, selon leur spécificité, à assurer cette préparation du citoyen. Les occasions de s’interroger sur le fonctionnement d’une société et sur les rapports entre individu et collectivité sont légion, dans le cadre de nombreux cours. Et ces occasions sont saisies.
En appoint à ces apports théoriques, l’école constitue, en elle-même, un exercice pratique : microcosme dont tous les acteurs sont les citoyens et où peut s’apprendre au quotidien la participation responsable. À chaque école de se mettre en question : enseigne-t-elle, par son modus vivendi, les principes et les usages d’une démocratie participative respectueuse de tous ? De ce point de vue aussi – et surtout – les actes éduquent bien plus que les paroles.
Ce que sachant, chacun aurait le droit de s’étonner aussi de ce que les femmes et les hommes politiques ne sont pas toujours les premiers professeurs de citoyenneté de la jeunesse. Car un mandataire politique au service du bien commun devient une sorte de « citoyen au carré » : exposé aux regards, il montrera plus que tout autre un sens de l’État qui le tiendra à l’écart de toute compromission et de tout faux-semblant, l’empêchera de tirer de sa position un quelconque avantage personnel et lui insufflera le respect tant de ses électeurs que de ses collègues. Remercions-le s’il contribue par là à promouvoir les valeurs démocratiques.
Mais ce serait trop facile de tirer notre épingle du jeu. Reconnaissons que nous aussi, nous enseignons chaque jour la citoyenneté à nos enfants, nos proches, nos connaissances et à tous ceux que nous côtoyons. Amis ou ennemis du code de la route, de la déclaration d’impôts transparente, du travail au noir…, même sans le vouloir, nous initions les autres à une certaine citoyenneté. À force de (petits) arrangements et accommodements, si nous n’y prenons pas garde, celle-ci risquerait de ressembler à une baudruche dégonflée.
Ce serait décevant. Et dangereux. Car une citoyenneté flasque et avachie, privée de toute ossature, capitulerait en face de causes musclées et carrées comme en offrent certaines idéologies. Il est sans doute audacieux d’imaginer un idéal citoyen assez attractif, assez motivant, voire captivant, pour répondre à des jeunes prêts à s’investir sans conditions quand ils sont convaincus que le jeu en vaut la chandelle. Mais, pour consolider une solidarité intergénérationnelle, nous y gagnerions, de toute façon, si le statut de citoyen était valorisant : une responsabilité humaine à assumer avec dynamisme plutôt qu’une charge à supporter dans la grisaille. Pour être efficace, tout enseignement requiert un ancrage et un contrepoint dans la réalité : il faut voir quelque part actualisé, rendu possible, ce pour quoi on se prépare. Tous les citoyens que nous sommes renvoient en permanence une image du citoyen et contribuent à en dessiner une sorte de portrait-robot. Seule la qualité de celui-ci donnera à un cours de citoyenneté une chance d’être crédible.
Publié dans La Libre Belgique, p. 55, le mercredi 15 avril 2015.