Vivent les vacances ! Même si les périodes de congé et les départs en séjours de détente se sont diversifiés et multipliés tout au cours de l’année, les « grandes vacances » restent les vacances par excellence. Elles possèdent un charme incomparable. Coupure marquée dans le monde de l’éducation entre deux années scolaires ou académiques, ce temps se propage à l’ensemble de la société comme une bienheureuse parenthèse. La voici qui vient de s’ouvrir, comme un espace de liberté retrouvée et séduisante.
Vous êtes-vous déjà dit qu’il y a quelque chose d’étrange dans le prestige de cette période ? Car, si l’étymologie est de bon conseil, l’attrait pour les vacances ne serait, tout compte fait, que l’attirance pour le vide. Le mot « vacance(s) », qui trouve son origine dans le verbe latin vacare, « être vide », signifie en profondeur « période vide » ou « période de vide ». Sauterait-on dans les vacances comme le parachutiste passionné saute dans le vide dont il ressent l’appel ? Faut-il réellement, pour être bonnes, que les vacances soient vides ? Les vider de quoi ?
Au tout premier degré et de toute façon, vidons-les de la contrainte des activités professionnelles. « Ça saute aux yeux que vous êtes épuisé, mon vieux, vous avez besoin de vacances. » Certaines tâches tiennent en haleine, harcèlent, stressent et, dans les cas extrêmes, emmènent jusqu’au burn-out – les francophones jusqu’à l’« épuisement ». Elles existent dans tous les emplois, qu’ils se situent en haut ou en bas de l’échelle – partiale ! – de la considération sociale. Pour qui veut surnager dans ce flux continu, un vide s’impose. Cela va-t-il de soi de faire le « vide professionnel » ? Absolument pas. Une enquête récente relève que 60 % des Belges consultent régulièrement leur courriel professionnel pendant leurs périodes de congés. La pression l’emporte sur l’attrait et la nécessité du vide.
D’autres vacanciers ont tout programmé pour que quasi chaque instant soit dense d’activités, touristiques, culturelles, sportives… non professionnelles bien sûr, mais activités tout de même. Faut-il croire comme eux qu’une contrainte choisie n’est plus une contrainte ? Vue de l’extérieur, pareille hyperactivité ne ressemble plus tellement à un « vide ». Mais allez savoir à quelles conditions précises chacun se sent libéré et si nous subissons tous les mêmes conséquences de ce qui apparaît comme un encombrement. Tel caractère se sentira à l’aise au milieu d’une armada de bibelots décoratifs ; tel autre, au contraire, dans un cadre débarrassé de tout objet « inutile ». Cela donne à penser que le vide ne prend pas le même contenu pour tout le monde.
Cherchons pourtant un critère commun. Il pourrait émerger de la question suivante : quel est le vide qui rend à chacun son pouvoir ? Au bout de la fatigue, on dit : « Je n’en peux plus ! » Submergé dans un magma d’activités, pressé de toutes parts, on étouffe, on se sent impuissant, incapable de changer quoi que ce soit à une situation, condamné à la passivité. Comme dans un déménagement où tout s’est accumulé en peu d’espace au point que personne ne sait plus où donner de la tête. Comme dans une conversation de table tellement entrecroisée que vous n’arrivez plus à placer un mot. Seule solution alors : faire aboyer le chien ou laisser tomber un plat, pour creuser un vide soudain où vous retrouvez le pouvoir de parler. Le même genre de rupture s’avère indispensable pour rendre à chacun le pouvoir d’agir sur sa propre vie.
Et si le prurit actuel de la centralisation à tous crins avait eu pour intention cachée de valoriser les vacances ? Dans toutes sortes de secteurs et de services, quand un « malin pilote » pense au nom de tous les supposés non-pensants et, à coups de directives directives, téléguide les moindres actions pour les « coordonner », c’est la vacance du pouvoir des sous-fifres. Voilà qui rend impérieux le besoin de vacances. Pour fuir l’impression de n’être que marionnette au bout d’un fil, que faire ? Sinon prendre des vacances, qui effacent les contraintes stériles et incitent à rêver de leur disparition définitive, et miraculeuse.
« Bonnes vacances ! », donc. Le souhait est moins vide que jamais ; il appelle avec force à restaurer une marge d’humanité créatrice partout où le rythme inhumain et la standardisation galopante robotisent. Ce vœu met au centre et au cœur l’initiative personnelle : il invite le simple plouc, que nous sommes tous, à prendre ses distances par rapport au « système » et à faire « le plein de vide », pour retrouver son pouvoir de choisir et de décider. Imaginez que tel soit, pour chacune et chacun, l’effet des vacances. Par ce vide comblé, chacun est redevenu avide d’investir sans compter une énergie qui a retrouvé son sens.
Publié dans La Libre Belgique, pp. 6 et 7, le lundi 20 juillet 2009.