Quand des élections approchent, il est bien naturel que le citoyen cherche à s’informer, à s’éclairer par tous les moyens possibles. Or, la lecture des programmes électoraux et l’audition des tirades de circonstance ne soulèvent pas une passion constante et plongent le citoyen, plus souvent que souhaitable, dans le désarroi ou dans l’ennui. Cherchons une méthode originale de réflexion sur le fait politique et sur les meilleurs acteurs à mettre en scène. Que diriez-vous de faire tourbillonner notre propos autour du corps ? Le corps humain, métaphore inépuisable depuis l’Antiquité, n’a jamais perdu sa force symbolique.
Vous vous souvenez peut-être que Ménénius Agrippa, lors de la sécession de la plèbe romaine, en 494 a.C.n, a été chargé de mettre fin à ce que beaucoup tiennent pour la première grève de l’histoire. Que fit-il pour ramener à la raison cette plèbe ulcérée par le manque de considération dont elle s’estimait l’objet ? Il lui raconta la solidarité entre les membres du corps et l’estomac : si l’un des ]]membres refuse de jouer son rôle, c’est le corps tout entier qui va dépérir. Et de fait, la cité – disons « l’État » – est-elle autre chose qu’un corps aux multiples membres ? Y a-t-il hiérarchie entre les membres ? D’après Ménénius, ils ont des rôles différents, spécifiques, mais à considérer comme indispensables, tous autant qu’ils sont. L’homme politique idéal, dans ce cadre, sera celui qui juge le citoyen aussi important que lui-même, élu, et qui concrétise en actes cette conviction.
En tête des indices pour l’électeur hésitant ou scrupuleux, plaçons la tête. Préférer la tête bien faite à la tête bien pleine, et surtout à la tête pressée au point de mener des actions sans queue ni tête. Se dire qu’il ne suffit pas d’avoir une bonne tête, ni d’être une femme de tête, si on n’a pas toute sa tête. En avoir par-dessus la tête de celles et ceux à la tête de qui l’ambition monte au point de la leur faire perdre. Ne pas écarter nécessairement les têtes pensantes – sans aller jusqu’aux grosses têtes – ou les mauvaises têtes, car la distance prise pourrait annoncer qu’ils agiront de façon pondérée, plutôt que de foncer tête baissée. Ne pas hésiter à tenir tête aux sondages ni, si le bilan des intéressés est maigre, à couper des têtes.
Si la tête ne vous inspire pas, parce qu’elle serait trop composite, vous pouvez vous concentrer sur le nez. Car, pour bien voter, il faut en avoir ou même l’avoir fin ou creux, et espérer la même chose des élus : à vue de nez, qui sélectionnera le candidat habitué à avoir un verre dans le nez plutôt que celui qui voit plus loin que le bout du sien ? Celui qui, une fois en poste, a fait un pied de nez à ses mandants, ou s’est laissé mener par le bout du nez, plutôt que celui qui, dans des circonstances pas toujours faciles, a montré le bout du sien, voire l’a mis dehors ? Pensez peut-être à celui qui s’est cassé le nez, car cette expérience peut l’avoir instruit. Si, sur la base de son nez, vous ne le sentez pas bien, s’il ne vous convainc pas, même en vous récitant une tirade des nez, cherchez avec moi un autre critère.
Que diriez-vous alors d’un fier-à-bras ou d’un gros bras ? Quelqu’un qui relèverait la situation à bout de bras, en tombant à bras raccourcis sur les responsables du marasme, au lieu de marcher bras dessus, bras dessous avec les spéculateurs. Par contre, attention, on a vu ce que peut devenir la gestion politique quand ses acteurs ont le bras long et que les pouvoirs de contrôle restent les bras ballants ou les baissent. Avant d’élire quelqu’un, pourquoi ne pas se demander qui sera son bras droit et surtout s’il n’a pas trop d’affaires sur les bras ? C’est l’électeur qui redevient le maître : pourvu que les scandales politiques ne lui coupent pas bras et jambes. L’électeur qui se croise les bras, refusant le bras de fer avec la dure réalité, ratifie l’état présent des choses.
L’avez-vous remarqué ? Les jambes viennent d’accourir. Elles dénoncent bien des vices politiques : elles épinglent celui qui prend le travail parlementaire par-dessus la jambe ou qui a pris ses jambes à son coup, on ne sait. Mais le résultat est là : il est absent à l’assemblée. Cet autre qui tire dans les jambes de l’adversaire, surtout en période électorale, plutôt que d’entreprendre des actions constructives. Cet autre encore qui, dans les débats politiques, vous tient la jambe sans vergogne, sans que cela vous fasse une belle jambe pour autant. Allez-vous les choisir, ceux-là, ou les mettre à pied ?
Pour en décider, il faudra mettre vos propres pieds dans l’isoloir. Levez-vous du bon pied, ce matin-là, mais regardez où vous mettez les pieds. Soyez intransigeant : plutôt que de se voir faire du pied par des électeurs complaisants, les élus ont besoin d’être mis au pied du mur par des électeurs conscients. Vous déciderez de choisir qui prend pied, qui a pied ou qui perd pied. Dilemme casse-pieds ou mise sur pied d’un projet nouveau ? À vous de trancher, en tant que membre du corps électoral.
Car, dans le corps social, pourquoi parlerait-on de membres inférieurs et de membres supérieurs ? Tous, à égalité – il faut que nous y croyions pour y tendre – travaillent à alimenter la démocratie, avec d’autant plus de force s’ils ont l’esprit de corps.
Publié dans La Libre Belgique, pp. 54 et 55, le vendredi 15 mai 2009.