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Lesquels iront se rhabiller ?

Après la fièvre de la campagne électorale, voici la fièvre des négociations. Suspense qui risque de se prolonger : tout doit être soigneusement soupesé, non seulement pour que la région soit bien gouvernée, mais pour que l’électeur ne se sente pas trahi et ne décide pas déjà de voter autrement à la prochaine occasion. Qui va endosser le costume du pouvoir ? Est-il trop étriqué pour certains ? Ou trop ample ? Chaque parti est-il bien au courant de sa taille exacte ? Jouera-t-on la transparence en se mettant à nu ou l’opacité en croyant que l’habit fait le moine ? Nous le saurons. Mais peut-être pas bientôt. Car les essayages ont seulement commencé.

Contemplons le curieux panorama des délibérations postélectorales. Untel, qu’on peut soupçonner de travailler du chapeau, a comme tactique de faire porter le chapeau à d’autres pour détourner l’attention de son échec personnel. Il n’hésite pas à prendre un virage sur les chapeaux de roue et à donner un coup de chapeau à ses anciens ennemis jurés. Et ces deux autres ? Ils essayent de se convaincre eux-mêmes qu’ils sont deux têtes sous un même bonnet ; car il arrive que de gros bonnets s’associent avec de petites mains qui ont la tête près du bonnet, s’ils ne sont pas même quelquefois un peu toqués.

Changez de salon et vous tombez sur des sieurs qui soutiennent que, pour gouverner les hommes politiques, il faudra une main de fer dans un gant de velours. Ils parlent des collègues politicens sans mettre de gants. Face à cet enjeu de gouvernance, à les entendre, il sont tout prêts à relever le gant, pour éviter de mettre en fonction quelqu’un que la première influence venue pourrait retourner comme un gant. Ceux-ci affirment qu’en la matière ils se sont toujours retroussé les manches, qu’ils n’ont presque jamais été du côté du manche, sans insister sur le fait que, quand rarement ce fut le cas, ils se sont, d’après certains échos, débrouillés comme des manches.

À la radio, vous entendez une voix feutrée qui se dit confiante : ce sont les autres qui vont ramasser une veste. Or personne n’ignore que celui-là a retourné la sienne il y a peu. Son plan consistait à convaincre tous les petits de se serrer la ceinture, tandis que lui-même, pendu aux basques des grands monnayeurs –  pour qui bonne renommée ne vaut pas mieux que ceinture dorée – organise l’aisance fiscale des nantis. Tout le contraire d’un sans-culotte au pantalon de bure à rayures, il n’a pas été loin de faire dans sa culotte quand la crise financière a éclaté. Comme c’est lui qui porte la culotte dans son parti, il a craint d’en prendre une. Alors, pour détourner l’attention, il s’est lancé dans une pantalonnade, où il était le Monsieur Propre lavant le linge sale des autres, plutôt que dans sa famille.

Petit à petit, le jeu des alliances se dessinera sous nos yeux. Même une savate cherche chaussure à son pied, alors que le partenaire pressenti préfère, lui, traîner la savate. L’un se proclame, comme le fit jadis un ex-premier ministre français, droit dans ses bottes, et ne veut rien avoir à faire avec cet autre, plutôt dans ses petits souliers. On entendra très peu de matamores refuser d’être à la botte de quiconque, mais cette complaisance improvisée pourrait amener leurs propres électeurs à vouloir leur botter les fesses. Des discrets, qui ont passé leur vie dans leurs pantoufles, et en ont le moral dans les chaussettes, sont par contre disposés à se mettre sous la botte de qui les voudra bien, quitte à connaître ensuite des hauts et des bas.

Cet art de « chercher des convergences » convaincra-t-il le citoyen lucide et critique de leur lâcher les baskets ? Gageons que non. Le partisan d’une (r)évolution gardera les yeux rivés sur le candidat qu’il a élu, pour être sûr qu’il n’a pas l’intention d’organiser un fric-frac chez ceux qui ont à la fois le fric et le frac. Il verra rouge s’il ne perçoit pas le désir de progrès chez ceux qui ont endossé l’habit vert. Il sera ému en présence des novices qui voient leur entrée en politique comme une prise d’habit, ou de voile. En face, les supporters du statu quo resteront peut-être séduits par les éternels mannequins politiques qui ont l’art de jeter le voile sur les difficultés du moment, ce qui leur évite d’enfiler une salopette ou un bleu de travail.

Pour que les citoyens y voient clair dans ces essayages, ils peuvent et doivent s’entraider. Les parents de jeunes enfants, par exemple, distingueront et éviteront plus facilement que d’autres les barboteurs et les barboteuses. Les couturiers et couturières auront une expertise précieuse pour signaler à tous que tel montage doit être examiné sous toutes ses coutures, que le choix de tel parti le met en position d’être vite battu à plate couture, que la moindre piqûre d’amour-propre dérègle à toutes pompes cet autre parti, au point qu’il en est à côté des siennes.

Si chacun(e), de fil en aiguille, aiguise ainsi son regard et détecte les ruses politiques cousues de fil blanc, surprise : le citoyen se retrouverait, au lendemain des élections, non pas avec « la même chose que d’habitude », mais avec un deux-pièces ou un « trois-pièces » qui ne le gênerait pas aux entournures. Il aurait le moral non pas en haillons, mais en habits de fête. Il se dirait : chapeau !

Inédit. Cet article, proposé à la rubrique « Forum » du Soir, n’a pas été retenu ni publié. Le Soir est resté muet à son propos.

Publié dansHumourInéditLangue françaisePolitique