Aller directement au contenu

Éduquer à entreprendre ou à être un suiveur ?

L’esprit d’initiative se perd. Non seulement chez les ingénieurs, qui en auraient bien besoin pour contribuer à une relance économique, mais partout ailleurs. Un exemple criant, dans un autre secteur, est celui des politicienx, totalement dépassés par la contrainte économique, incapables d’initiatives politiques – au sens plein du terme –, réduits aux ficelles, aux « trucs », au système D pour grappiller des sous et des voix.

L’éducation a sa part de responsabilité dans cette faillite. Car que faut-il entendre par « initiative » ? Du latin inire, « entrer dans, commencer », le terme désigne la qualité de celui qui est capable le premier « d’entrer dans » une idée ou une activité nouvelles : d’abord la concevoir, mais aussi s’y engager. Or, comment un homme peut-il accéder à une vision neuve ? C’est qu’il prend du recul par rapport à l’immédiateté des situations, il voit plus large ou plus loin. Il découvre sous un angle encore jamais pris une facette de la réalité humaine et un moyen d’y entreprendre une action. Voir l’homme, le monde et leur interaction avec le recul d’une personnalité d’homme, c’est le fondement de toute initiative.

Or, l’éducation, et en particulier l’enseignement, dérivent vers l’utilitarisme. On chosifie. On intrumentalise. On fonctionnalise. On prépare un outil humain plutôt qu’un humain utile. À quelle ouverture de vue introduit-on un jeune lorsque les trois-quarts de son horaire scolaire – ou davantage – sont orientés vers l’utilitaire, les techniques à acquérir pour jouer bientôt son rôle de sage rouage dans la machine ? Ces a priori actuels de trop de formations induisent que le monde est à prendre ou à laisser, tel qu’il est, et que la seule qualité appréciable est de s’y adapter. Comment une « initiative » pourrait-elle surgir dans ce cadre-là ? C’est un fait : le recul est en recul. Nez collé aux situations, on ne voit plus le paysage humain qui seul pourrait inspirer des idées nouvelles et des créations.

La solution s’esquisse dès lors sans peine : élargir, en toute éducation, la part de la réflexion « gratuite » sur les grandes questions de l’homme, de la société et du progrès humain. On croit perdre son temps, mais on forge ipso facto un « outil » devenu trop rare, l’esprit d’initiative.

Publié sous le titre « Eduquer à entreprendre » dans la rubrique « Courrier » de La Libre Belgique, le 8 juin 1996.

Publié dansDémocratieEnseignementPhilosophie pratique