C’est le matin de Pâques. Il est huit heures. J’allume la radio. Surprise ! On parle de religion. Pour signaler que les chrétiens n’ont droit qu’à une fête de Pâques en modèle réduit. Ce qui vaut mieux, quand même, que la suppression pure et simple, l’année dernière, de toutes les célébrations.
À Rome, continue le reportage, le baromètre des contaminations impose une désertion des pèlerins. À la grande désolation des restaurateurs et des hôteliers qu’on interroge et qui évaluent – comment ? – à trois cents millions d’euros la perte pour le secteur. Si l’économie souffre, cela vaut qu’on en parle. Si le vide obligé des églises en fait souffrir certains ou beaucoup, évoquons-le à demi-mot, non pas pour lui-même, mais parce qu’il a des incidences économiques.
Pour ce qu’en sait le grand public, la pandémie « fête » son anniversaire. Cette année d’affrontement entre l’homme et le virus a polarisé l’attention de (presque) tous et fournit des ressources inépuisables aux parleurs de notre monde. Intérêt et discours ont été distribués de façon très inégale.
On comprend et on admet que la part du lion soit forcément revenue à la santé publique, à l’aspect médical des choses et aux mesures d’urgence inspirées – ou non – aux politiques par des experts. Pour le reste, l’évaluation se complique, car chacun la pratique avec son échelle des valeurs personnelle.
Mais le « secteur religieux » s’est singularisé par sa quasi-absence, en particulier dans les communications gouvernementales. Les croyants devaient attendre la publication des commentaires et sous-commentaires pour savoir quel sort leur était réservé. À côté des qualifications « essentiel » et « non essentiel », que se disputaient telles ou telles catégories de personnes, on aurait pu croire à la création d’une étiquette « pas du tout essentiel » – et donc méritant tout juste le silence – collée sur la dimension religieuse de l’existence.
Dès février 2020, une église évangélique de Mulhouse avait montré à quel point un rassemblement religieux massif d’environ deux mille personnes pouvait constituer un foyer de contamination impressionnant.. La suspension des offices religieux s’imposait alors et n’a pas été contestée.
À ma connaissance, notre pays n’a vu naître comme en France de manifestations devant des églises pour réclamer la reprise des cultes. Les (rares) déclarations des évêques ou de leur porte-parole ont toujours été mesurées. Ce presque-silence peut susciter l’accord de celles et ceux pour qui le primat du sens des autres sur l’intérêt personnel appartient aux essentiels d’une religion.
Si ce silence « interne » a quelque chose de valorisant en termes de tolérance et de respect des autres, le silence « externe » peut être ressenti comme une ignorance, une indifférence, voire un mépris. Cette extrême discrétion est-elle due au manque de revendications du « secteur » ? À une tentation de privatiser la dimension spirituelle au point d’estimer qu’elle n’est pas l’affaire des décideurs publics ? Au recul de l’humain dans l’échelle des critères permettant de décider ce qui en vaut la peine ?
Certains médias ont quelque peu compensé ce vide en donnant la parole à ceux qui expriment leur regret et leur manque de tout ce qu’une communauté vivante ajoute à la prière et à la célébration. Le numérique a multiplié les efforts, mais la foi se « télétravaille » difficilement. Au-delà de l’image et du son, la présence des autres à nos côtés est l’ingrédient indispensable pour une cérémonie communautaire. Or notre sensibilité personnelle ne trouve que peu de répondant lorsque quinze personnes sont dispersées dans une cathédrale.
Le retour à une vie sociale pleine et entière revêt une importance, économique, psychologique et vitale pour tous les secteurs. Nous l’attendons tous de tous nos vœux. Il marquerait aussi une résurrection des cultes. Tant que cet espoir reste en suspens, une reconnaissance pour les tenants de toutes les religions serait déjà de ne plus être marginalisés par une ignorance et un silence inexpliqués.