Nous le constatons souvent : les jeunes se désintéressent de la politique, quand ils ne prennent pas les hommes politiques en horreur, affirmant – sans trop de nuances – que « ce sont tous des pourris ». De quels citoyens sera fait demain si cette vision demeure ou se propage ? Une tâche prioritaire de l’éducation consiste donc à réhabiliter le politique, si noble dans son essence, si noir parfois dans ses « huiles ».
Les prototypes de citoyens dans la démocratie athénienne ou dans la Rome républicaine peuvent amener à réfléchir sur le sens d’un État bien conçu, sur le comportement d’un individu sociable, sur la considération à avoir du bien commun. Encore faudrait-il, pour rendre du crédit au politique contemporain, que les valeurs ainsi redécouvertes dans leur principe s’inscrivent dans le concret de la pratique politique actuelle.
Avant les dernières élections, des rhétoriciens ont souhaité et organisé une rencontre avec des représentants de différents partis. Le but était de voir de près « ceux qui font la politique » et d’entendre la parole qu’ils avaient à dire sur des questions de jeunes. Satisfaction des rhétos au terme du débat : « Ils ont l’air normaux, souvent sensés et parfois même motivés. » Mais inquiétude aussi : « Ils disent. Mais que font-ils ? Que feront-ils, une fois élus ? » Parmi les intervenants politiques siégeait un prénommé Richard.
La tâche vitale de réhabiliter le politique auprès des jeunes ne devrait-elle pas être aussi, et surtout, celle des hommes politiques eux-mêmes ? Or la pédagogie ne paraît pas être leur fort. Ou alors ils n’en ont cure… Car quelle image de la moralité politique se construit le jeune qui prendrait la peine de parcourir l’actualité de ces derniers temps ? Il entend qu’un mandataire, élu sur une telle liste, tourne casaque sans estimer que son mandat doit être remis à l’électeur. Et s’il a signé un accord déontologique précisant ce point – signe qu’il ne faudrait plus du tout compter sur une détontologie personnelle ? –, il ne respectera pas cet accord. C’est « normal » : « Tout le monde fait pareil. »
Le même jeune constate encore, avec surprise, qu’une activité inattendue polarise les énergies des partis politiques : attirer dans son giron les mandataires d’un autre parti, pourtant élus pour réaliser un autre programme. Ce « ministère des affaires étranges » doit-il se substituer au travail politique modeste et efficace ? Faut-il racoler tous azimuts des personnalités du sport, des médias, des autres partis, pour racoler l’électeur ? Le bon sens des jeunes préférerait voter pour un bon programme politique qui se suffise à lui-même. Il se réjouirait d’ailleurs de voir les énergies focalisées sur la réalisation d’un bon accord de gouvernement. Et là aussi, notre jeune a de quoi tiquer : le parti non plus n’honore pas sa signature. S’il s’est engagé, par exemple, à s’en remettre à l’avis du parlement pour ce qui est du vote des étrangers aux élections communales, il se rétracte et menace de faire tomber le gouvernement si cet avis ne lui convient pas.
L’actualité est décicément prolifique et notre observateur intéressé n’est pas au bout de ses étonnements : un prénommé Daniel, si prompt à s’imposer comme Ministre-Président, est beaucoup moins prompt à se laisser imposer. Que faut-il croire ? Les leçons de civisme qui se payent de mots, dans les deux langues, ou les actes qui enterrent le civisme dans un coffre-fort ?
Voilà donc le spectacle « instructif » – et, hélas, non exhaustif – qui s’offre aux jeunes. De grâce, Messieurs les Politiciens de tous bords, aidez-nous. Les enseignants et les éducateurs soucieux de réconcilier les jeunes avec le politique attendent des exemples concrets de comportements politiques qui ne feraient pas fi des valeurs morales de la vie courante. Avez-vous déjà entendu parler d’une « nouvelle culture politique ? » Son avènement est urgent.
Publié dans La Libre Belgique, p. 18, le vendredi 13 février 2004.