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Un avenir pour l’école ? Croire au Père Noël

Trop souvent peut-être, malgré de vifs souhaits que nous avons au cœur, nous attendons que l’initiative vienne des autres. Nous rêvons, mais sans trop croire à la force puissante et agissante du rêve. Comme si son contenu ne pouvait prendre corps que par miracle… et sans nous. Cette passivité se vérifie dans la banalité quotidienne, mais se remarque plus encore quand les individus sont rouages d’une institution. C’est mon cas. Enseignant – par choix et par goût et par passion –  depuis bientôt quarante ans, je rêve, pour l’enseignement, d’une évolution tout autre que le mouvement actuel la dessine. Mais que peut changer à la situation un simple plouc, quand des bataillons d’experts patentés déferlent en rangs serrés ?

Lassé de mes propres aveux d’impuissance, j’ai décidé d’enfin aller de l’avant, d’agir, de recourir aux moyens extrêmes, encore que non violents. J’ai écrit au Père Noël. Voici ma lettre.

« Cher Père Noël, cela fait bien longtemps que je ne vous ai plus dérangé. Je considérais que ce sont en priorité les enfants qui ont le droit de s’adresser à vous. Mais – le croirez-vous ? – maintenant, les enseignants sont considérés et traités comme des enfants, maternés, encadrés, surveillés, corrigés. Cela me rend le droit de vous adresser cette lettre. Peut-être avez-vous les moyens de transformer mon rêve en réalité. Je ne suis pas sûr que vous pourrez tout réaliser, car ce rêve est à la fois très ambitieux et très irréaliste. Je vous fais confiance : vous choisirez là-dedans le plus fondé et le plus urgent.

Je voudrais des programmes simples et très courts, bien écrits en français de tous les jours, de telle façon qu’ils puissent même être lus. Ils fixeraient des objectifs clairs et peu nombreux. Ils feraient confiance à l’inventivité pédagogique de chaque utilisateur, appelé à constituer lui-même sa « boîte à outils ». Privilégiant le bon sens par rapport à la très haute technicité, ils stimuleraient de façon magnifique la motivation et le dynamisme de chaque professeur.

Je voudrais des inspecteurs ou conseillers pédagogiques discrets et dissimulant à peine un certain sourire. Invités cordialement dans les écoles, ils y déverseraient sur les enseignants une vague de sympathie et de confiance inébranlable. Encore enseignants motivés eux-mêmes, ils partageraient en toute modestie leurs expériences et même leurs compétences. Soucieux de faire connaître les meilleures idées – forcément minoritaires – qu’ils repéreraient au gré de leur pérégrinations, ils stimuleraient de façon magnifique la motivation et le dynamisme de chaque professeur.

Je voudrais, pour les enseignants, des formations libres et tellement libératrices que tout le monde s’y bousculerait. Chaque fois adaptées aux nécessités locales, elles seraient organisées sans perturber la vie des écoles et sans empiéter sur le temps de formation des élèves.

Je voudrais des directeurs paisibles et tranquilles, épargnés par les tracasseries administratives kafkaïennes, au point qu’ils iraient jusqu’à s’occuper de pédagogie et à animer leur corps professoral. Ils auraient une grande liberté d’appréciation des réalités locales et, grâce à une marge de manœuvre calculée large, ils serreraient au plus près le bien des élèves. Pour définir le bien commun, ils dialogueraient avec les enseignants eux-mêmes, sans voir ce dialogue parasité ou bloqué par de vagues représentants quasi étrangers à l’école réelle. Ils connaîtraient une ère « presque sans décret », où les changements s’identifieraient avec la nécessité.

Je voudrais des autorités politiques adeptes du respect plutôt que du mépris. De vrais adultes qui s’adressent à d’autres adultes, plutôt que des fonctionnaires racornis, tâtillons et infantilisants. Ces dirigeants seraient soucieux, non pas de dorer la pilule, mais simplement de faire respecter les enseignants, en commençant par les respecter eux-mêmes. Ils regarderaient avec plaisir se déployer les projets que l’espace laissé ouvert aurait invité à inventer. En se tenant à distance avec une confiance contagieuse, ils stimuleraient de façon magnifique la motivation et le dynamisme de chaque professeur.

Bien d’autres souhaits m’habitent encore, cher Père Noël, mais je n’ose pas en formuler davantage. Cela me paraît déjà trop audacieux. Veuillez me pardonner si je vous prends du temps et si j’empiète sur le territoire des enfants. Merci d’avance de ce que vous pourrez faire. »

Êtes-vous curieux de connaître la réponse du Père Noël ? La voici :

« Cher grand Enfant, il me semble, à vous lire, que vous ne manquez ni d’idées ni de désirs à propos de l’enseignement. Ce qui m’étonne un peu, c’est que vos souhaits ne soient pas très novateurs. La plupart d’entre eux étaient réalisés dans les écoles où, jeune Père Noël, j’ai été formé. N’est-il pas à craindre que vous soyez rétrograde et que vous ne sachiez pas apprécier les progrès qui ont dû intervenir depuis ? Mais je ne suis plus assez au courant pour pouvoir en juger. J’avoue que, spontanément, je me sens porté, comme simple immortel, à trouver vos vœux si simples bien légitimes et sensés. Presque banals.

De mon côté, je vais tenter d’agir. Je vais travailler le Ministre Dupont au corps. Savez-vous qu’il y a en lui deux Dupondt ? Un Dupont avec « t », comme teacher, enseignant bien conscient de ce qui se passe dans une classe et dans une école, et un Dupond avec « d », comme déconnecté, qui gravite dans les sphères d’un pouvoir où l’on plane si haut qu’on perd de vue le plancher des vaches. Si vous me permettez cette publicité inattendue, je vais montrer votre lettre au premier Dupont. Et je serais bien étonné s’il se contentait de nous répondre « Tintin ! » »

Publié, sous le titre « Ecole : croire au Père Noël », dans La Libre Belgique, p. 42, le mercredi 17 décembre 2008.

Publié dansEnseignementHumourSociété