La préparation et les premiers moments du conclave sont tout de rouge vêtus. Cette marée rouge, qui va submerger la chapelle Sixtine, a quelque chose à la fois d’impressionnant et de surprenant. L’uniforme risquerait de suggérer une uniformité, mais celle-ci se limite au titre de cardinal et à l’appartenance catholique.
Par-delà, la diversité des options théologiques, pastorales et sociétales est plus qu’assurée parmi ces pontifes issus de tous les continents. Tant mieux si cette hétérogénéité permet d’espérer que toutes les variétés de fidèles sont représentées et présentes dans ce cercle fermé.
Mais devant cette procession exclusivement masculine m’est venu en premier à l’esprit ce verset de la Genèse : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa[1]. » Telle est l’affirmation biblique d’une nature humaine à deux composantes.
Cherchez la femme
Imaginons que surgisse à Rome un naïf, aussi étranger aux milieux catholiques que l’est à la société française le seigneur persan Usbek dans les Lettres persanes de Montesquieu. Il ne pourrait que décrire ce qu’il voit : une concentration de cent trente-trois dignitaires religieux sans aucune femme parmi eux. Il pourrait même supposer que cette partie émergée correspond pour la composition au reste de l’iceberg.
La sacro-sainte tradition a habitué les catholiques à cet état de fait, face auquel ils ont trouvé certaines compensations : les rôles importants tenus par des femmes dans les Écritures, dont celui, essentiel, de Marie, le culte, parfois débordant, rendu à la Vierge, les ordres et monastères féminins, l’action et l’influence de nombreuses femmes, religieuses ou laïques, dans les associations humanitaires, les quelques postes à responsabilité confiés – enfin ! – à des femmes, etc., etc.
Mais l’actualité de l’Église confirme que l’exercice du pouvoir reste une chasse gardée de la gent masculine. Un homme va être désigné pape à la majorité des deux tiers d’une assemblée de cent trente-trois hommes. Un point, est-ce tout ?
Et si le futur pape regrettait l’absence de femmes au conclave ?
Qui sait ? Ce pourrait être une conviction profonde du successeur du Pape François que Dieu « les créa homme et femme ». Le mouvement à peine encore amorcé pourrait prendre corps sous le prochain pontificat. Une évolution rapide est difficile à imaginer. L’Église, ont souvent dit des autorités ecclésiales, n’a pas pour mission de s’adapter à toutes les mutations de la société ni aux innovations dans les courants de pensée. C’est fondé. Mais elle ne peut pas non plus se trouver en porte-à-faux par rapport à la société dans laquelle s’inscrivent ses membres.
La marche vers une dignité humaine plus accomplie n’est pas – heureusement – un scénario écrit par les religions, quelles qu’elles soient. Mais une Église qui puise son inspiration dans la vie du Christ non seulement se doit d’y contribuer par tous ses moyens, mais aussi de respecter et de favoriser les moyens par lesquels d’autres, religieux ou non, y contribuent.
Le « spectacle » du conclave qui succédera à celui-ci, dans quelques années, mettra-t-il en scène un autre rassemblement qu’aujourd’hui ? C’est impossible à prédire. Le prochain pape gardera-t-il la ligne de François concernant l’exercice le plus collégial possible du pouvoir dans l’Église ? Ressentirons-nous, comme membres de cette Église, que ses dirigeants se préoccupent de donner un sens concret et puissant à ce que le Concile Vatican II a appelé « le sacerdoce des fidèles » ?
Souhaitons que l’importance des enjeux dynamise notre prochain pape et le pousse vers l’avant plutôt que de le freiner par prudence excessive. Nous y gagnerions tous si chacun des sujets qui font débat aujourd’hui, plutôt que d’être bloqué par des soupapes de sécurité, est abordé et traité avec toute la transparence et la liberté possibles. Au souffle de l’Esprit.
[1] Genèse, 1, 27.
Texte inédit, rédigé le 5 mai 2025. Proposé à La Libre Belgique, il n’a pas été retenu pour les raisons suivantes : « Le sujet « Pourquoi pas de femmes au conclave? » a été traité via un large face-à-face lundi dernier. Et plusieurs de vos questions/réponses ont également repris dans le journal ces derniers jours/semaines. Nous devons veiller à varier les sujets et les approches. »
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