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De pas de clerc en pas de clerc

Étonnante expression que ce pas de clerc ! Pourquoi la « faute, erreur, maladresse par inexpérience, ignorance, imprudence » est-elle imputée au clerc ? Née au xvie siècle, la formule s’inspire du clerc d’avoué ou d’huissier, novice dans le métier et guetté par les bévues. Néanmoins, depuis lors, bien d’autres types de clercs ont pris le relais, toutes institutions et toutes religions confondues.

Or voici que l’actualité ramène le clerc sur le devant de la scène, en rouvrant le procès du cléricalisme dans l’Église catholique. Un groupe de chrétiens liégeois vient de publier le fruit d’une réflexion commune : Rendons l’Église au peuple de Dieu. Pour en finir avec le cléricalisme[1].Le thème préoccupe le pape François, qui a redit récemment que « le cléricalisme est une perversion de l’Église ». Quant aux auteurs de la brochure, ils en tirent des conséquences non papales, « au risque de choquer » : « Nous pensons même que, pour supprimer le cléricalisme, il faut supprimer le clergé[2]. » De fait, cela n’a pas manqué d’en offusquer certains.

Ainsi l’évêque de Liège considère cette démarche comme un pas de clerc. À des questions qu’il trouve pertinentes, « les réponses sont mal instruites »[3]. Dans la même mouvance, une pétition est lancée par un auteur anonyme qui dit parler « au nom de tous catholiques » – ! – contre ce « groupuscule » qui veut « supprimer le sacerdoce et la prêtrise »[4]. Voyons s’il est possible de cerner la clef de ce débat.

Le clerc est l’élu, le mis à part

Comme souvent, l’étymologie offre son écot. Le mot « clerc » remonte au grec klêros désignant d’abord l’objet pour tirer au sort : petits cailloux, petits morceaux de bois déposés dans un casque, dans un vase où on les agitait avant de tirer. De là, c’est aussi le tirage même, puis ce qu’on obtient par le sort : lot, part, héritage, lot attribué à une église, à un prêtre. In fine, le sens « fonction de prêtre, clergé » est attesté dès l’Antiquité chez les écrivains grecs ecclésiastiques.

Le fil conducteur de cette évolution n’est autre que le tirage, la sélection : un élément est extrait de la masse pour occuper une position privilégiée. Les antonymes au mot « clerc » ne trompent pas : béotien, ignorant, inculte, laïc. Ce dernier terme a pour origine le grec laikos, « qui est du peuple ». Le « laïc » reste cantonné dans la masse populaire dont le « clerc » émerge parce qu’il est mieux loti.

L’Histoire confirme ce caractère sélectif. Au Moyen Âge, tout étudiant est clerc, synonyme de « savant », préservé de l’ignorance et de l’inculture. Dans la réforme de Paul VI en 1972, la cléricature est le statut de ceux qui sont « mis à part » comme ministres de l’Église et le deviennent par ordination. Ce statut clérical a pu amener la formation d’une caste « à part » au sein de l’Église catholique[5]. Ainsi se crée une « rigidité », relève le pape François, qui ajoute : « Sous chaque type de rigidité, il y a de la pourriture. »

Mettre à l’écart la mise à part

Pour sortir de cette rigidité, il ne s’agit pas de supprimer les prêtres. Il « suffit » de reconnaître que l’ordination ne transforme pas le prêtre en « extra-humain » et ne modifie pas sa nature : il n’est pas « divinisé », ne devient pas « un Christ ». Tant mieux s’il en est ainsi. Cela permet d’attribuer à la seule faiblesse humaine tous les pas de clercs dont se sont rendus coupables les clercs à travers l’Histoire et dont les plus récents ont alimenté des scandales trop nombreux.

Le prêtre ne disparaît pas pour autant du paysage d’Église. Il reçoit une mission spécifique qui ne le sépare pas de l’humanité courante. Il reste le frère de tous dans la famille humaine. Mais c’est plus qu’une simple nuance. Faut-il être grand clerc pour le mesurer ?


[1]     Texte intégral : http://www.belgicatho.be/media/01/01/718246232.pdf.

[2]     Ibid., p. 47.

[3]     Texte intégral : https://www.evechedeliege.be/article/reaction-de-mgr-delville-sur-la-publication-de-la-brochure-rendons-leglise-au-peuple-de-dieu-pour-en-finir-avec-le-clericalisme-17-02-2023/

[4]     Texte intégral : https://www.mesopinions.com/petition/autres/veulent-supprimer-sacerdoce-pretrise/201346.

[5]    Jean Passicos, Clerc & CléricatureEncyclopædia Universalis, https://www.universalis.fr/encyclopedie/clerc-et-clericature/

Inédit. Proposé à La Libre Belgique, il n’a pu paraître, parce qu’ « un autre point de vue sur le sujet allait sortir, rédigé par un collectif » et parce que La Libre prévoyait de publier un dossier sur la question traitée. Proposé au Vif/l’Express, il est resté sans réponse.

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