De mémoire d’homme, l’opinion – mise en regard des faits – a suscité quelque méfiance et parfois du mépris. Platon déjà la définit comme « une connaissance inférieure à celle que procure la science et qui se fonde sur les seules apparences »[1]. Mais l’éternel débat prend de nos jours une tournure particulière : internet et son collaborateur le plus récemment enrôlé, l’intelligence artificielle, rendent beaucoup plus possible qu’auparavant de travestir des faits et d’en créer de toutes pièces. Si notre opinion tente avec scrupule de se fonder sur les faits, elle ne sait plus trop où donner de la tête pour en trouver qui soient d’emblée tout à fait crédibles.
Pouvons-nous compter sur les journalistes dignes de ce titre pour nous guider en la matière ? Ce n’est pas l’avis d’un politicien à la mode, dénommé Bouchez. Celui-ci a profité d’une interview sur l’antenne de la RTBF pour semer le doute : « Ce qui est reproché à la RTBF c’est de mélanger systématiquement de l’information, de l’opinion, sans faire une distinction qui est claire. Il y a un vrai débat qui se pose derrière cela : est-ce qu’un média de service public peut également faire de l’opinion et si oui, dans quel cadre ? »
Faut-il comprendre que cette réprimande s’adresse aux médias en général ou à celui-ci en particulier ? Ou qu’il s’adresse à un service public, qui devrait s’imposer des règles dont les chaînes privées seraient dispensées ? Ou que lesdites chaînes possèdent, elles, la clef qui permet à l’auditeur de différencier tout de go faits et opinions ? Quoi qu’il en soit des intentions sous-jacentes, tentons de détecter les ressorts de pareil procès.
L’état d’esprit envers le quatrième pouvoir
L’appellation même de « quatrième pouvoir » reconnaît aux médias une capacité d’agir et de réagir en tant que « contre-pouvoir ». Il lui revient d’observer ce qui se passe et de le décrire en toute objectivité pour en informer le citoyen. Le journalisme – surtout s’il est d’investigation – ne se limite pas à ce qui saute aux yeux de tous, mais cherche à découvrir aussi le dessous des cartes, les dessous de table et tout le non-dit imperceptible pour le commun des mortels. Excusez du peu.
Il est vrai que l’action politique, en général, s’accommode fort peu d’une transparence sans réserve. Mais le pompon de l’obscurantisme est l’apanage des extrémistes de tous bords. Plus un dirigeant politique est autocrate, plus il abomine les médias. Soit il les interdit, soit il les asservit et les transforme en outil de propagande. Si ce critère est valable, il est tout à fait éclairant pour le citoyen : quand un politique s’en prend aux médias, le degré de son animosité situe son degré d’extrémisme.
La subtilité d’esprit
Le reproche adressé à la RTBF ne révèle-t-il pas une difficulté personnelle de son auteur à faire la part des choses entre faits et opinions ? Pourquoi généraliser et conclure que le téléspectateur est incapable de cette perspicacité ? Car ailleurs, le même accusateur a fait preuve d’une confusion semblable entre les deux registres. Ses opinions concernant le conseil communal de Mons ne lui ont-elles pas paru plus fortes et plus justes que les éléments factuels d’une enquête menée dans le respect des procédures ? Saisi de l’affaire, le tribunal a préféré faire droit aux faits.
N’oublions pas non plus que l’expression même d’une opinion s’érige en fait. Celui-ci peut marquer les esprits et provoquer des réactions vives. Ainsi lorsque l’explosion des bipeurs du Hezbollah est qualifiée de « coup de génie », sans aucun égard pour les victimes. Comment, en pareil cas, dissocier fait et opinion ? Ils se donnent la main : l’opinion crée le fait.
Toutes les catégories professionnelles ont leurs phénix et leurs faiblards. Les proportions sont-elles différentes chez les politiciens et chez les journalistes ? Sans doute que non. La plupart des journalistes recherchent l’objectivité dans la relation des faits et les distinguent de l’opinion.
Quel moyen clarifierait davantage ? Imagine-t-on le journaliste brandissant un écriteau « Fait » ou « Opinion » à destination des téléspectateurs supposés émoussés ? Ou faut-il simplement conclure que le « flou » de la RTBF est plutôt une opinion qu’un fait ?
[1] https://www.lesoir.be/art/faut-il-toujours-opiner-face-a-l-opinion-_t-20061221-0088Q3.html; https://francoisxavier.druet.be/2006/12/21/faut-il-toujours-opiner-face-a-lopinion/
Proposé au Soir, qui n’a pas donné de réponse, puis au Vif/l’Express, en deux versions successives, l’actualité le nécessitait, qui a dit ne pas pouvoir le publier tout de suite. Il est donc inédit à ce jour et le restera vraisemblablement.
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