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La vérité en capilotade

La tromperie s’est installée confortablement dans les mœurs. À vrai dire, devenue d’usage plus que courant, elle rend quasi impossible pour le commun des mortels de décider a priori qui dit vrai.

Vous qui lisez ceci, comment pouvez-vous être sûr que je dis vrai ? Pourquoi ne serais-je pas du nombre de ceux qui travestissent délibérément la vérité en vue d’un profit quelconque, avec l’intention de nuire, par pure malignité, ou seulement par bêtise ? La prolifération des contrevérités a pris une telle ampleur que tout propos non vérifiable est devenu forcément suspect.

Le déclic de la fausseté homologuée

Si toute époque a connu ses menteurs, jamais le mensonge n’a disposé des moyens d’aujourd’hui  dont la puissance ignore désormais toute limite. Et l’irruption de l’intelligence artificielle dans ce processus laisse pantois quant à la recrudescence et à la malignité des duperies.

Un tournant dans l’Histoire du mensonge est-il le surgissement dans l’arène politique de Donald Trump ? Nom prédestiné à double titre : le substantif désigne la trompette et le verbe peut signifier « inventer ». C’est donc que le saltimbanque médiatique a embouché la trompette de la tromperie. Tout propos de sa part devient ipso facto la vérité, quel que soit son rapport avec la réalité. Il inaugure le concept de « vérité alternative ». Non seulement il autorise ses suppôts à faire de même, mais il les y contraint.

Sa malencontreuse notoriété a banalisé l’usage des vérités assassinées, les rendant familières, voire sympathiques. La fausseté et l’immunité du faussaire ont tenté tout un chacun.

Le suivisme décomplexé

Dans le champ politique, la méthode « trumpesque » s’est répandue sans le moindre scrupule, du haut de la pyramide jusqu’à sa base. La désinformation pour capter des voix devient méthodique.

En France, entre les deux tours des législatives, des internautes s’interrogent : « Un candidat du Rassemblement National qui ment en déformant le programme du Nouveau Front National est-il dans l’illégalité ? » Non, répond un constitutionnaliste : « Ce tract est une position sciemment mensongère, grossièrement inexacte », mais « fait partie de la liberté de caricaturer ». La tolérance de la loi, au nom d’une liberté d’expression et celle de certains citoyens – en quel nom ?  – aggravent ce phénomène, désigné par le néologisme « intox(e) ».

Avec l’aide immodérée des complotistes et celle, permanente, d’internet et des réseaux sociaux, tous les trafiquants d’idées et de faits créent un monde parallèle où la vérité devient évanescente, voire fantomatique. Bien au-delà du politique, l’imposture a contaminé tous les domaines.

Le contrecoup de la suspicion

Lorsque tant de choses méritent l’incrédulité des esprits critiques, que reste-t-il à croire ? De plus en plus souvent dans les écoles, les informations fournies par les enseignants sont contestées par des élèves au nom d’idéologies, de théories sectaires, pseudo-religieuses, complotistes, pseudo-scientifiques, etc. On perçoit bien la difficulté non seulement pour les jeunes contestataires, mais aussi pour leurs condisciples et pour l’ensemble de la communauté scolaire de progresser dans une formation sérieuse et sereine. Car celle-ci suppose une confiance de base, même si la lucidité critique garde ses droits.

Au quotidien, nous n’en sommes pas encore à mettre en doute la parole de nos proches en les soupçonnant d’intentions cachées. Mais le doute et le soupçon nous assaillent bien souvent. Lors des campagnes électorales, par exemple, nous sommes plus d’une fois à quia. Qui croire ? Que croire ? À quelle source nous fier ? Comment valider les vérités proposées ?

L’évolution trop rapide du secteur rendrait simpliste toute conclusion simple. Restons-en à un souhait : que l’intelligence naturelle et l’intelligence artificielle s’associent, volontaristes, afin de donner à l’humain plus de moyens pour restaurer la vérité que pour la réduire en charpie.

Publié le 1er août 2024 dans La Libre Belgique et sur son site, à 10 h 16, sous le titre « Vous qui lisez ceci, comment pouvez-vous savoir que je dis vrai ?

Publié dansDémocratieInternetPolitiqueSociété