Depuis quelques années, l’expression « fake news » a proliféré dans l’espace public – en particulier dans les médias – avec la même combativité que l’anglais lui-même et son expansionnisme tentaculaire. Or, son apparition n’est pas toute récente. Selon Jayson Harsin, professeur à l’université américaine de Paris, le terme fake news aurait été utilisé pour la première fois en 1999, lors de l’émission de télévision satirique américaine The Daily Show.
D’emblée les francophones qui continuent à parler français ont cherché des équivalences. « Fausses nouvelles », « fausses informations », « désinformation », « mésinformation » ? En 2018, après bien des tergiversations, la commission d’enrichissement de la langue française a finalement conseillé de traduire « fake news » par « information fallacieuse » ou par le néologisme « infox », mot-valise à partir d’« information » et « intoxication ». Voilà qui simplifie les choses.
Mais la langue française ne s’arrête pas là : elle tend beaucoup d’autres perches pour qualifier ces propos sans aucun fondement qui font florès notamment sur les réseaux sociaux. Un petit catalogue des possibles vous permettrait de choisir votre formule de prédilection. Le voici, non exhaustif, par ordre alphabétique :
- artifice, « moyen trompeur et habile pour déguiser la vérité, subtilité pour tromper » ;
- attrape-nigaud (ou, plus familièrement, attrape-couillon), « ruse grossière, mystification qui ne peut réussir qu’auprès d’un nigaud » ;
- baliverne, souvent au pluriel, « propos futiles et creux » ;
- bateau, « histoire pour tromper, pour mystifier » ;
- bidon, « mensonge, bluff » ;
- billevesée, surtout au pluriel, « paroles vides de sens et creuses » ;
- bobard, « propos fantaisiste et mensonger qu’on imagine par plaisanterie pour tromper ou se faire valoir ; fausse nouvelle » ;
- boniment, « discours trompeur, de charlatan, pour séduire le client » ;
- calembredaine, surtout utilisé au pluriel, « propos extravagants et vains, plaisanterie » ;
- canard, « fausse nouvelle lancée dans la presse pour abuser le public » ;
- cancan, « bavardage calomnieux, bruit empreint de médisance, de malveillance » ;
- canular, « mystification ; fausse nouvelle, fausse information propagée par messagerie électronique » ;
- carabistouille (belgicisme), « baliverne, calembredaine » ;
- falsification, « action d’altérer volontairement en vue de tromper, son résultat » ;
- fumisterie, « action, chose entièrement dépourvue de sérieux » ;
- galéjade, « histoire inventée ou exagérée, plaisanterie généralement destinée à mystifier » ;
- leurre, « artifice qui sert à attirer quelqu’un pour le tromper » ;
- maquignonnage, « manœuvres frauduleuses ou indélicates » ;
- mystification, « propos destiné à abuser de la crédulité de quelqu’un ; tromperie collective, d’ordre intellectuel, moral » ;
- piperie, « tromperie, leurre » ;
- salade, souvent au pluriel, « histoires mensongères » ;
- supercherie, « tromperie qui implique généralement la substitution du faux à l’authentique » ;
- tricherie, « tromperie ou mauvaise foi de la personne qui parle ou agit » ;
- trucage, « fait d’user de procédés malhonnêtes, de falsifier ».
L’abondance des termes disponibles et la subtilité des nuances nous invitent à la créativité, à ne pas nous en tenir à l’« infox », même si le néologisme est ingénieux. Diversifions les manières d’appeler ces parasites de l’information selon leur malignité spécifique.
Qui parle ? Sur quel support ? Dans quel contexte ? Dans quel domaine ? Politique ? Culturel ? Sportif ? Autre ? Est-ce lié à une personne ? À une institution ? Quelle est l’intention de l’auteur de l’infox ? Est-il malveillant ? Machiavélique ? Incompétent ? Ou seulement idiot ?
Autant de questions dont les réponses peuvent amener à privilégier telle formule plutôt que telle autre pour ces « fake news » dont la profusion risque, à terme, de déstabiliser la société et son fonctionnement démocratique.
La fausse information a existé de tout temps. Mais jamais elle n’a connu l’audience qui est la sienne pour le moment. Jamais elle n’a, comme maintenant, créé des jobards aussi nombreux ni des pigeons aussi consentants. 2022 sera-t-elle l’année de la régression du mensonge organisé ? Ah ! si ces requalifications de leurs méfaits, plus évocatrices, pouvaient dissuader les auteurs d’« infox » de sévir ! Rêvons. Ils se rendraient compte du désarroi qu’ils sèment. Ils renonceraient à saper l’esprit critique, la moralité et le moral de leurs cibles tout en gonflant la cohorte des déboussolés. Telles seraient leurs bonnes résolutions de Nouvel An. Rêvons.
Publié sur le site du Vif/l’Express, le vendredi 21 janvier 2022.