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Quand les animaux sont de bon conseil

Des études de plus en plus nombreuses le découvrent : contrairement à ce que pas mal de philosophes ont longtemps cru, les animaux possèdent un langage. Bien sûr, La Fontaine leur a donné voix dans ses fables. Oui, Kafka a prêté sa plume à un singe dans son Rapport pour une académie. Mais, à ma connaissance, aucun animal n’a été en mesure jusqu’ici de s’adresser à nous dans un article d’opinion.

Je ne prends pas ici la parole en leur nom. Quelle prétention ! Je voudrais seulement souligner combien les animaux interviennent et nous parlent à travers notre propre langage. Ils inspirent tant de mots et d’expressions qu’un recensement exhaustif est impensable. Voici donc un étique aperçu de suggestions indirectes que nous adressent nos amis les animaux.

Avez-vous, par exemple, la chair de poule – ou le bourdon ? – devant le spectacle qu’offrent les réseaux sociaux, sur lesquels beaucoup se ruent en moutons de Panurge ? Admettons que tous les usagers n’y sont pas des aigles. Ours mal léchés et cervelles d’oiseaux s’y côtoient. Vacheries, prises de bec et langues de vipères l’emportent trop souvent sur la douceur des agneaux ou la paix des colombes. Comment réagir ? Monter sur ses grands chevaux ? Crier haro sur le baudet ? Verser des larmes de crocodile ? Ou se contenter de ronger son frein ? Ou encore estimer qu’il n’y a pas là de quoi fouetter un chat ? Nous n’avons que l’embarras du choix.

Un autre cercle peut nous donner parfois le sentiment d’être pigeon ou dindon de la farce. C’est le cénacle politique, où les médias se donnent mission de fureter ou de fouiner chaque fois qu’il y a anguille sous roche. Peut-être nous ont-ils mis la puce à l’oreille quant à la diversité des habitants de ce monde-là : à côté de vraies bêtes et de bonnes bêtes, des canards boiteux, des requins, des renards, des paons… Insuffisant pour conclure qu’il s’agit d’un panier à crabes. Car, à côté des chiens de faïence et des coureurs de plusieurs lièvres à la fois, il s’en trouve aussi pour prendre le taureau par les cornes, pour appeler un chat un chat et pour rester à cheval sur leurs principes. À chacun de choisir la réplique la plus adéquate : adopter la politique de l’autruche et lézarder au soleil ou avoir, au moment des élections, un œil de lynx mandaté par une intelligence de renard.

Les animaux dictent-ils aussi quelques recettes pour tous les jours ? Le simple quotidien – pas toujours simple – peut de temps en temps battre de l’aile, même en dehors d’une vie de chien. Sans pour autant manger de la vache enragée ou se sentir fait comme un rat, le citoyen lambda ne vit-il pas quelquefois des jours de cafard, dans une semi-pénombre, où tous les chats sont gris ? Comment va-t-il rebondir ou retomber sur ses pattes ?

Cela variera selon la réaction de l’entourage. Tantôt l’infortuné constate que ses « amis » lui ont posé un lapin ; autour de lui, il n’y a plus un chat et pourtant il se retrouve avec un chat dans la gorge. Tantôt il voit surgir un interlocuteur solide sur ses pattes, prêt à discuter sans noyer le poisson ni chercher la petite bête. Une manière discrète de le prendre sous son aile, le temps que lambda se sente à nouveau des fourmis dans les jambes et reprenne du poil de la bête.

N’est-il pas étonnant que les animaux envahissent ainsi notre langage, scellant avec nous un pacte de métissage culturel inédit ? La familiarité avec eux, faut-il croire, a quelque chose d’attirant pour les créateurs de nouvelles formules censées mieux raconter la vie. Comment expliquer cette sympathie ? Serait-ce que, comparé à l’humain, l’animal jouit d’une franchise pleine et entière ? Il est tout d’une pièce. Sans détour. Il ne connaît ni l’ironie ni l’hypocrisie. Sans risquer le coq-à-l’âne, inférons que la présence des animaux dans le langage le rend consistant, dense, concret, et donc vivant, quand les termes abstraits agissent plus laborieusement. Et si l’Académie française remerciait pour cette animation la Société protectrice des animaux et la soutenait ? Ce ne serait que justice, nom d’un chien.

Publié dans La Libre Belgique, p. 41, du lundi 29 juillet 2019.

Publié dansHumourLangue française