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Pénurie de bon sens parmi les « têtes » de l’enseignement ?

En attendant l’état futur d’excellence qui lui est promis, jusqu’où l’état actuel de l’enseignement devra-t-il se dégrader pour que des mesures efficaces soient prises ? Nombre de parents se posent aujourd’hui la question quand ils font le compte des heures de cours qui ne sont pas assurées à leurs enfants, faute de professeurs disponibles.

À la mi-septembre, une enquête menée par l’administration auprès d’un échantillon représentatif de trois cent trente-six établissements publiait ses chiffres : en moyenne, sur trente-deux heures de cours par semaine, chaque élève en perd deux – c’est une moyenne ! Et depuis lors, aucune convalescence ne se dessine. Au contraire.

Dans l’immédiat, une cause précise est connue de tous : l’application stricte et aveugle du décret sur les titres et fonctions. Elle freine les directeurs au moment où il faut remplacer un professeur. L’obligation de respecter la hiérarchie entre titres requis, suffisants ou « de pénurie » et de rédiger, pour l’administration, un procès-verbal de carence avant de pouvoir passer à la catégorie suivante entraîne des délais absurdes. Au point que beaucoup de directeurs renoncent à chercher un remplaçant pour une absence réputée brève, préjugeant de l’impossibilité d’y arriver à temps.

Une pression s’exerce dès lors de la part des directions pour que soit suspendue l’obligation de ce procès-verbal, au moins pour les branches en pénurie. Mais les syndicats freinent des quatre fers, craignant que cette « liberté » ne soit utilisée abusivement par les « méchants » directeurs pour contourner le décret. Comme si un cours non donné valait mieux pour l’élève qu’un cours dispensé sans le titre requis.

Or le seul bon sens suggérerait de simplifier au maximum l’application de ce décret, voire de le suspendre, puisqu’il aggrave la pénurie. Mais le bon sens paraît devenu hors de saison dans la gouvernance de l’enseignement. Et ce n’est pas récent. D’autres indices le donnent à croire.

Le propre du bon sens consiste, entre autres, à reconnaître ses erreurs, à en tirer les leçons et à rectifier aussitôt le tir. Le trop mémorable décret « Inscriptions » régentant l’entrée dans le secondaire est l’exemple parfait du contraire. Ses multiples inconvénients et désagréments n’étaient contrebalancés que par un seul objectif avouable : favoriser la mixité sociale. Que s’est-il passé quand on a constaté qu’il produisait l’effet inverse ? Abandon logique de ce dispositif contreproductif ? Pas du tout. On l’a amendé plusieurs fois en compliquant son application. Résultats ? Une forte surcharge administrative pour les directions d’écoles, une folle énergie détournée d’autres fins plus louables, de lourds dommages pour certains jeunes qui restent sans école bien au-delà de la rentrée scolaire. Mais il n’est toujours pas question de renoncer à ce prestigieux fleuron de la gouvernance pédagogique.

Le passage imposé à la pédagogie par compétences a-t-il été une autre erreur dommageable ? Il est difficile d’être formel sur ce point, car d’autres facteurs interfèrent dans les répercussions que cette option idéologique a eues. Mais l’évidence est là : la relégation à l’arrière-plan – voire aux oubliettes – de la saveur des savoirs en a démobilisé plus d’un, élève ou professeur.

Qui technicise assèche et dessèche : le mécanique supplante l’humain. Cette dessiccation n’est pas pour rien dans la pénurie actuelle. Plus d’un jeune prof quittent bien trop vite la carrière. Plus d’un jeune ne se sentent plus attirés par cet enseignement-là. Plus d’un vétéran ont anticipé leur pension. Un appareillage pédagogique des plus sophistiqués escorte les compétences et multiplie, pour le professeur, les contraintes administratives. C’est moins aguichant que les matières elles-mêmes, qui peuvent susciter la passion répondant au goût de chacun et le désir de la susciter chez d’autres.

Le bon sens n’eût-il pas été de ménager, dès le départ, la chèvre et le chou, de faire cohabiter dans l’équilibre savoir et compétence, au lieu de créer un cimetière des « savoirs morts » ? N’était-il pas déjà trop tard quand, la mort dans l’âme, on a de nouveau autorisé une vie aux savoirs ? Et le bon sens ne demandait-il pas d’aller plus loin ?

Décret des titres et fonctions, décret « Inscriptions », doctrine des compétences, trois cas, parmi d’autres, où le simple bon sens invite à pallier les erreurs commises. L’expérience fait douter que ce soit possible. Et le Pacte d’excellence souffrira mille maux si la frénésie d’un encadrement administratif de tous les instants frappe à nouveau, alors que le pacte avait la prétention d’être libérateur.

Malgré cette indécrottable fermeture au bon sens, entretenons l’espoir. Une conscience s’éveillera enfin. Peut-être. La tendance s’inversera. Peut-être. Alors, la dynamique de l’enseignement repartira dans le bon sens. Peut-être.

Publié sur le site du Vif/l’Express, le samedi 24 septembre 2018, à 09 h 41.

Publié dansEnseignementPhilosophie pratiqueSociété