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Où est donc passée la « belle » école du sport ?

« On s’en fout de la manière, de comment on gagne, on a gagné ! » (sic). Ce sont les propos d’un joueur de football quelque peu connu. Il termine un match où son équipe s’est ingéniée à détruire le jeu, voire à l’empêcher : sur les vingt-six dernières minutes de la rencontre, le jeu a été interrompu pendant quatorze minutes. Comment est-ce possible ? Il suffit de multiplier les simagrées en tous genres, de s’écrouler sans même avoir été victime d’un contact avec un adversaire, de repousser la balle au loin quand il faut la remettre en jeu, de jouer les moribonds au moindre petit choc. Etc. Or ces simulateurs monomaniaques sont réputés capables de jouer réellement au football. Ils auraient, dit-on, été bistournés et dévoyés de la sorte par leur entraîneur, un ancien joueur fervent adepte et pratiquant de ces méthodes de démolisseurs.

Un autre joueur célèbre d’une équipe célèbre fait les choux gras des réseaux sociaux et des médias : pour provoquer des pénalités, il a une propension à se vautrer par terre au moindre souffle provoqué par le frôlement d’un adversaire

Le pays où cela se passe tire gloire d’une organisation de la compétition jugée impeccable – à juste titre, semble-t-il. Étonnant de constater que la responsabilité d’un tel événement a été confiée à un pays qui a notoirement mis en place, dans plusieurs disciplines sportives, « un dopage d’État ». Plus de six cents sportifs sont concernés depuis 2011 ; le scandale a éclaté après les jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014. Pour cet État, la victoire sportive, censée le glorifier aux yeux du monde, justifierait-elle, par exemple, le trucage des tests antidopage ?

Un vainqueur récidiviste de grands tours cyclistes est contrôlé et inquiété pour le taux excessif et condamnable d’un produit dopant. Après moult atermoiements, il est blanchi. Le voici sur les routes de France. Son asthme – les asthmatiques sont légion parmi les coureurs cyclistes – lui permettra de rouler en confiance avec l’assistance de son puff.

Un tennisman connu a eu la malchance de se trouver par hasard dans la clientèle d’un médecin mis en cause pour organisation systématique d’un dopage médiqué.

Combien d’autres cas vous viennent certainement à l’esprit et étofferaient encore cette liste.

Où est donc passée « la belle école du sport » ? Serait-ce celle qui enseigne, par ses propos ou par ses actes, que, dans la pratique sportive, seule la victoire compte ? Que, pour la remporter, tout est permis ? Qu’en sport, la fin justifie les moyens ?

Heureusement, d’autres grimpeurs préfèrent l’autre versant de l’ascension sportive. Leurs centres d’intérêt sont diamétralement opposés. L’effort de reculer ses limites, laissé à la seule volonté du pratiquant,. Le respect de soi-même, en acceptant les limites imposées par son idiosyncrasie. Le respect de l’adversaire, qui implique de ne pas utiliser pour l’emporter faux-fuyants, manigances, et a fortiori moyens frauduleux. Le respect de son sport, qui consiste à en adopter les règles avec droiture, sans chercher à les détourner pour gagner, fût-ce contre l’esprit du jeu. Le respect du supporter – il s’en trouve à tous les échelons du sport, même les plus discrets, et pas seulement lors d’une Coupe du Monde –, qui nécessite de répondre à ses attentes et à ses enthousiasmes.

Ici se croisent les responsabilités des uns et des autres. Le sportif a le choix de privilégier ou non les valeurs d’honnêteté, de rigueur et, in fine, d’humanité plutôt que la victoire à tout prix. Le supporter a le choix de privilégier ou non, dans ses attentes et dans l’appui qu’il apporte à son champion, lesdites valeurs, plutôt que d’exiger absolument la victoire, quel qu’en soit le prix.

À côté de ces valeurs, une autre mérite tout à fait sa place, particulièrement dans les sports d’équipes. Le beau jeu. Il y a une esthétique de sport comme de toute chose. Pratiquer un sport pour le beau geste procure une satisfaction personnelle à celui qui l’exécute. Et, dans le sport spectacle, le beau geste réjouit le public et lui donne raison d’avoir payé sa place parfois bien cher. Le beau geste en incitera l’un ou l’autre à se lancer lui aussi dans la pratique sportive. Dans l’espoir d’accéder un jour au beau jeu.

En sport, comme partout ailleurs dans la vie, l’éthique attend chacun de nous au tournant. Sportif ou supporter, nous avons le choix des valeurs. Personne n’a le droit de nous empêcher de dire : « On ne s’en fout pas de la manière ! »

Publié sur le site de La Libre Belgique, le 16 juillet 2018 à 15 h 33.

Publié dansEthiquePhilosophie pratiqueSociété