Des événements récents ont fait naître un regain d’intérêt pour la figure du héros. Plus d’un commentateur s’est essayé à en définir les traits marquants, à en retracer l’histoire, parfois depuis l’Antiquité, et à en distinguer les différents types. Certains ont souligné que l’héroïsme a quelque chose de relatif, dans la mesure où « le héros des uns n’est pas nécessairement le héros des autres ». Cette relativité devient particulièrement sensible si on accepte l’idée que le héros est aussi – ou avant tout ? – un héraut.
Au Moyen Âge, le héraut, appelé aussi « crieur public », n’est autre que l’officier responsable de la transmission des messages et des proclamations solennelles. Or, le héros de toutes les époques transmet un message : l’action qu’il entreprend, le comportement qu’il adopte, l’existence qu’il mène proclament quelque chose, même s’il ne l’exprime pas verbalement. Cette singularité de la proclamation est universelle, que le héros appartienne à la fiction, à la vie publique ou à la vie commune. Quant au contenu des messages, il est, lui, pour le moins pluriel. Presque à l’infini.
Cette pluralité implique que le héros des uns puisse être honni des autres. L’attentat manqué du Thalys laisse apparaître cette hétérogénéité des messages et de la forme qu’ils prennent. D’un côté une tentative, préparée de longue date, de professer que l’État islamique doit et veut punir le « mécréant » occidental. De l’autre, une action spontanée et dans l’instant de trois jeunes Américains qui veulent protéger la vie de leurs semblables en risquant la leur. Leur message ? Que l’assistance à personne en danger est un impératif humain catégorique. Qui pourrait concevoir que Daesh et les démocraties occidentales reconnaissent les mêmes héros et soient accessibles aux mêmes messages ?
Voilà donc une disparité qui rejoint tout à fait le propos d’André Malraux dans L’Espoir : « Il n’y a pas de héros sans auditoire. » Chacun de nous entend les mots qu’il veut bien entendre et nos oreilles se bouchent pour les discours qui nous contredisent et pourraient nous déstabiliser. En quête de hérauts défenseurs des valeurs qui nous sont chères, nous homologuons les héros dont les actes vont dans le sens que nous approuvons.
Le risque existe de galvauder le terme. Le dictionnaire même invite à la prudence : que possèdent en commun « celui qui se distingue par un courage extraordinaire », « l’homme digne de l’estime publique, de la gloire, par sa force de caractère » et celui qui est « le personnage principal, l’acteur central d’une œuvre » ? Ils sont tous héros. Et tous hérauts. Comment les différencier, sinon peut-être grâce à la spécificité et à la qualité du message exprimé par leur manière d’être ou d’agir ?
Plus significatif que beaucoup d’autres critères – notoriété, rareté, exposition médiatique ou caractère spectaculaire –, la teneur du message permet de les ranger tous sur une même ligne de départ. Du personnage de bande dessinée au sauveteur généreux, remarquable d’abnégation, en passant par les vedettes de cinéma, les idoles sportives, les révolutionnaires inspirés et les tyrans charismatiques.
Que nous disent-ils ? Pourquoi les admirons-nous ? Ne serait-ce pas parce qu’ils incarnent l’humanité dans ce qu’elle a d’essentiel et de désirable à notre point de vue ? Parce qu’ils fournissent une sorte de gabarit de ce qui ferait, à nos yeux, l’homme idéal ? « Dis-moi qui est ton héros, je te dirai qui tu es. » Devant une infinité de choix possibles, nous avons l’entière liberté de nos préférences. C’est une évidence : nos héros nous définissent nous-mêmes.
S’il est bien choisi, le héros – forcément héraut – nous aspire vers l’avant, vers le haut. Dans l’Antiquité grecque, les héros, demi-dieux, servent de traits d’union entre l’humain et le divin. Le « plus qu’humain » appelle l’humain à s’amplifier. On peut entendre le même type d’exhortation quand Nietzsche engage l’homme à se réapproprier le surhomme qu’il a laissé en d’autres mains.
En tant que proclamation de valeurs, l’héroïsme n’est pas réservé à une élite ni à un petit nombre. À côté des crieurs publics en pleine lumière, en toute discrétion une myriade de crieurs privés imprègnent leur vie et leurs actes d’une humanité dont ils se font les hérauts.
Publié sur le site du Vif/l’Express, le mercredi 11 avril 2018, à 15 h 33.