À travers les siècles, bien des noms propres de personnages réels ou de fiction ont produit des adjectifs dérivés. Les plus nombreux d’entre eux se terminent par le suffixe « -ien » – racinien –, mais certains préfèrent se décliner en « -ique » – machiavélique – ou en « -esque » – moliéresque.
Parmi nos contemporains, un être d’exception, le dénommé Donald Trump, soucieux d’être au centre de tout, des photos de groupes, de l’attention médiatique et de sa propre attention, pourrait aspirer à ce qu’il concevrait comme un hommage adjectival. Mais n’oublions pas que ce néologisme n’est honorifique que par le fait qu’il immortalise l’inspirateur ; il se contente de refléter les traits dominants du personnage, qu’ils soient à son avantage ou non.
Pour ne pas être chiche, on offrirait au gourou milliardaire deux dérivés. Les « trumpiens », au même titre que les platoniciens, les artistotéliciens, les kantiens, seraient les disciples du starets, considéré par eux comme un maître à penser, lui dont la pensée n’est pas vraiment la spécialité. Serait « trumpesque » tout ce qui correspondrait à l’image polymorphe du sieur Président.
Essayons-nous à retracer les actes de ce personnage quasi inconcevable comme leader politique en lui faisant côtoyer des célébrités qu’il aurait pu se glorifier de coopter lui-même s’il ne limitait pas son champ culturel à des rudiments d’économie.
Cultivé, il aurait pu appeler son pouvoir « césarien », rêvant d’une dictature à vie, et avouer, en conscience, son caractère « jupitérien », lui qui se gigantise dans son Olympe tout en illustrant, jusqu’à la caricature, le narcissisme d’un marmot boudeur.
Cultivé, il aurait pu qualifier de « cornélien » le choix qu’il lui eût fallu opérer entre l’intérêt public et ses intérêts privés et qu’il a éludé.
Cultivé, il aurait pu adopter face au peuple des accents « cicéroniens », voire « démosthéniens » au lieu de restreindre son éloquence – si l’on peut dire – à la menace, à l’insulte et à un argot de trottoir. Il aurait pu capter qu’au lieu de se montrer frénétiquement « draconien » face à toutes les différences, un dirigeant gagne à préférer l’approche « cartésienne » au papillonnage émotionnel.
Cultivé, il se serait peut-être dit qu’en transformant la Maison Blanche en un château « kafkaïen » il allait donner aux premiers mois de son mandat une dimension « dantesque ». Il aurait compris qu’en jouant les Judas ou les Ganelon quant aux engagements pris par ses prédécesseurs il se taillait une stature « néronienne » de maître sans foi ni loi.
Tous ces agissements composent de facto un portait singulier, dont on est renversé de devoir constater qu’il est celui du « responsable » politique d’une grande puissance mondiale.
Ces façons de faire ou de défaire pourraient sans nul doute être étiquetées « trumpesques ». Mais, si on s’arrête là, le terme manquerait d’une connotation qui est peut-être le trait marquant de cette personnalité à la fois hors du commun et très commune : la trivialité.
Sa vulgarité ne se borne pas à une dimension « rabelaisienne » – gaieté libre et truculente, parfois cynique et grossière – qui pourrait rester compatible avec une certaine sympathie. Elle intègre aussi le « rocambolesque » – extravagant, plein de péripéties inattendues –, le « grotesque » – risible par son apparence bizarre, caricaturale, voire le « grand-guignolesque » – d’une outrance ridicule, invraisemblable.
Voilà que le Grand-Guignol nous ramène aux adjectifs liés à des noms de personnages. Dès lors comment ne pas penser in fine à « ubuesque » ? Dans Ubu roi, « parodie burlesque sur le pouvoir, la prise de pouvoir, l’abus de pouvoir, l’amour insensé du pouvoir total », apparaît le Père Ubu : « Boursouflé d’égoïsme, d’avidité, de bêtise et de lâcheté, le père Ubu ne recherche en toute chose que son bénéfice et son bonheur personnel[1]. » Son mode de gouvernement est absurde, cruel et cynique. Bref – actualisons – il est « trumpesque ».
[1] Analyse de Jean-Paul Crinon, metteur en scène d’Ubu roi d’Alfred Jarry.
Publié dans La Libre Belgique, p. 53, le vendredi 9 juin 2017.