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Indiscrétion médiatique : attendez-vous à en savoir trop

« Attendez-vous à savoir… » La tournure vous dit-elle quelque chose ? Avez-vous connu cette grande journaliste française, Geneviève Tabouis, qui introduisait ainsi ses chroniques dans les années 50 et 60 ? Nombre d’« informations » fournies par les médias invitent à paraphraser sa formule et à se demander où tracer, dans l’indiscrétion médiatique, la ligne rouge entre le tolérable et l’inacceptable, comment soupeser le trop.

Trop souvent, attendez-vous à en savoir trop. Vous lisez, par exemple : l’expertise psychiatrique d’un accusé révèle que, chez lui, « le plus frappant est sa capacité extraordinaire à mentir, de sorte qu’on ne peut rien croire de lui qui n’est pas prouvé ». Le quotidien fournit le nom de l’expert. L’usage des guillemets et de l’italique indique qu’il s’agit du texte même du rapport. Et il est proposé aux abonnés – ou pour une somme modique – de consulter « l’avis de l’expert psychiatre au complet ». Bien entendu l’« information » rebondit dans les journaux télévisés parce que le « droit à l’information » est devenu à la fois un leitmotiv et un alibi.

Comment donc s’organise la divulgation d’un tel rapport qui sert de référence à l’acte d’accusation ? Impossible sans doute de le savoir, au nom de la sacro-sainte « protection des sources ». Et pourtant l’accès à un dossier d’instruction n’est accordé qu’à un nombre limité de personnes… Quels que soient l’auteur et ses intentions, pareille fuite est choquante : quel citoyen pourrait trouver normal de découvrir dans les médias le compte rendu d’un examen médical dont il a été l’objet ? Et qui soutiendrait que le statut de l’accusé, présumé innocent jusqu’au verdict, autorise la levée du secret médical ?

Jusqu’où se risquera l’indécence – au sens étymologique d’« inconvenance » ? La simple existence d’un fait ou d’un texte implique-t-elle qu’ils se transforment en « informations » ? Évidemment non. C’est l’informateur qui décide si le fait est assez intéressant pour mériter d’être répercuté et qui évalue les conséquences de cette répercussion à l’aune de sa propre éthique. Chaque décision de ce genre relève de la conscience personnelle et de la capacité à se faire conseiller en cas de doute.

Où s’arrêtera la surenchère dans la quête effrénée de révélations, censées essentielles pour assurer une mythique « transparence » ?

Espérons qu’ils ne sont pas si nombreux, les citoyens qui se sentiraient frustrés d’ignorer le contenu d’un rapport médical confidentiel, que ce dernier concerne un accusé, un sportif célèbre, une vedette de la chanson, un ministre ou un président de la république. Qui estime indispensable à son équilibre personnel de connaître le texte d’une note préparatoire à une négociation politique, alors qu’elle est destinée à un usage interne et que sa publication risque de faire capoter la recherche d’un consensus ? L’admiration est-elle unanime pour ce « grand journaliste d’investigation » qui aura réussi à transplanter dans les médias telle ou telle bouture politique en photographiant, à travers la vitre d’une voiture, les notes personnelles d’un ministre.

Admettons que la chasse au scoop fait partie intégrante et inévitable du journalisme et conditionne sa rentabilité. Concédons que le cadre de travail a été bouleversé par la quasi-instantanéité de certaines informations, ce qui incite l’informateur désireux d’avoir la primeur à dégainer plus vite que son ombre. Reconnaissons que la « bonne information », recueillie et diffusée en tout esprit critique, est aujourd’hui parasitée par des particuliers inconséquents qui n’hésitent pas à répandre sur la toile tout et n’importe quoi, sans le moindre discernement.

Bref, le contexte complique singulièrement la tâche de bien informer. Mais, dans le même temps, il donne toute son ampleur et sa grandeur à la responsabilité du journaliste, dont le sens du devoir – déontologie oblige –, mis à rude épreuve, demeure crucial. Attendez-vous à le savoir de plus en plus.

Publié sur le site du Vif/l’Express, le dimanche 25 septembre 2016, à 15 h 58.

Published inEthiqueInternetMédiasSociété