Le gouvernement fédéral s’est enfermé trop longtemps dans la grève des prisons et a ouvert la voie à celle des trains. Qui s’en étonnera ? N’est-ce pas l’aboutissement inéluctable de l’attitude adoptée d’entrée de jeu, en matière de concertation, par la coalition qui hésitait alors entre « kamikaze » et « suédoise » ?
À l’époque, la profession de foi du Premier Ministre faisait chaud au cœur syndical : « Les espaces laissés à la concertation sociale sont gigantesques (sic). Le gouvernement est authentiquement social et on n’a de leçon à recevoir de personne. » Quasi au même moment, sur un plateau de la RTBF, le non-dialogue entre une ministre et un dirigeant syndical manifestait sans équivoque que la concertation sociale était au point mort. Les uns prétendent inviter à la concertation, les décisions n’étant pas monnayées dans tous les détails de leur application. Les autres ressentent la concertation comme court-circuitée et instrumentalisée : l’essentiel étant décidé sans recours, la discussion ne peut porter que sur des pets de lapin.
Le « dialogue » entre le Ministre de la justice et les syndicats de gardiens reproduit la dichotomie. L’un, tenu par son vœu de chasteté économique, racle les fonds de tiroir pour mettre sur la table des miettes de propositions. Les autres, conscients de l’énormité des besoins pour garder – rendre ? – à la prison sa dimension humaine, tiennent les « avancées » pour des pets de chat. Et quand les syndicats ont fini par parafer avec le Ministre un premier accord minimaliste, la base a refusé : elle a sanctionné une pseudo-concertation où, à tort ou à raison, elle se sent bâillonnée et bafouée. Lundi nous apprendra si le deuxième essai, accouché aux forceps, sera plus concluant.
Or l’homme – ou la femme – politique qui vide la concertation de son sens joue les fossoyeurs de la démocratie. Formellement, il maintient le mécanisme qui donne la parole au citoyen ou à ses mandataires ; mais cette parole tourne sot, privée qu’elle est de tout impact sur la réalité. Quand le citoyen ainsi « concerté » se rend compte du décalage, il est renforcé dans son sentiment négatif vis-à-vis de la classe et du système politiques : il les juge déconnectés de la vie réelle, réfugiés dans un monde à part, qui entretient, comme à dessein, son étrangeté.
Curieuse attitude chez un politique censé être démocrate. Car d’abord le vrai démocrate cherche à écouter au mieux le citoyen pour rencontrer ses besoins. Mais ensuite il profite du fait que la concertation, quand elle englobe une participation réelle aux décisions, garantit l’efficacité dans leur exécution. Qui a pris part à la réflexion et à la décision se motive, voire s’enthousiasme, pour que la mesure soit effective. Les réformes successives de l’enseignement offrent un contre-exemple frappant : si elles restent quasiment lettre morte, c’est que les décisions concoctées et prises en haut et en chambre ne suscitent pas ce type d’adhésion chez les acteurs de terrain.
Que se passe-t-il dans la tête du « démocrate » qui torpille la concertation sociale ? Est-il machiavélique ou malhabile tacticien quand il lui préfère l’affrontement dans l’irrespect ? Cherche-t-il à donner le change ou est-il inconscient de la position clé de la concertation dans le processus démocratique ? Allez savoir… Mais, dans une hypothèse comme dans l’autre, le citoyen est invité à lui trouver un remplaçant dès que possible.
Si l’électeur a vu juste, ce successeur retrouvera une efficacité magistrale. Chaque fois qu’il se peut, il aura l’intelligence de laisser réflexions, débats et décisions aux mains des personnes concernées. Il n’interviendra qu’en cas d’excès. Ceux-ci sont rares quand des individus responsables et sensés construisent avec patience et respect des solutions équilibrées aux problèmes qui les touchent directement. Entre politique et société, le maître mot sera confiance. Condition sine qua non pour vivre et agir de concert.
Publié dans La Libre Belgique, p. 53, le vendredi 27 mai 2016.