Mais quand donc parlent-ils sérieusement ? Arrive-t-il même qu’ils parlent sérieusement ? « Ils », ce sont les politiciens. Les négociations qui se tiennent et les gouvernements qui se forment donnent trop d’occasions au citoyen de s’interroger sur l’intelligence du langage politique.
Peut-être le citoyen est-il – on ne peut que s’en féliciter – plus attentif aux propos politiques quand une campagne électorale est censée alimenter la réflexion et guider la décision. Eh bien, figurez-vous qu’un citoyen a entendu un président de parti proclamer que jamais il ne ferait alliance avec tel autre parti ; il découvre que cette alliance est en train de se nouer. Un autre citoyen a appris avec joie que le bourgmestre qu’il a élu à la tête de sa ville tenait à cette charge comme à la prunelle de ses yeux ; il se retrouve avec un bourgmestre empêché, qui se prétend bien meilleur défenseur de sa cité en tant que ministre que comme mandataire communal. Un troisième citoyen a reçu le message que l’État, en difficulté de financement, exige de tous des efforts d’économie ; il compte le nombre de ministres et le constate supérieur à celui de la législature précédente. Et cetera.
Demande-t-on aux auteurs de ces contradictions s’ils n’ont pas le sentiment d’avoir mangé leur chapeau, ils répondent qu’il n’en est rien : on les a mal compris. Il fallait ne pas les prendre au mot : que le citoyen perspicace – qu’ils le soient tous – anticipe et saisisse d’emblée que blanc veut dire noir et que oui signifie non si le contexte change. Et le contexte change toujours. Et ce bouleversement est toujours « de la faute des autres ».
C’est ennuyeux à la fois pour le citoyen et pour le politicien. Ce dernier se voudrait « pédagogique » : son action doit être bien expliquée et interprétée. Quel langage utiliser si chaque mot peut aussi désigner son contraire, « les choses pouvant changer » ? Quelle oreille encore tendre et quelle compréhension encore tenter ? Cette inconséquence démonétise la communication politique. C’est un comble tristement paradoxal : les moulins à paroles, qui trop souvent ne payent la société qu’en paroles, seraient tout sauf des gens de parole ?
Notez que le contrevérité sert parfois une bonne cause, comme l’affirme Socrate, dans les Mémorables de Xénophon. Un général qui voit son armée découragée lui fait croire à l’arrivée de renforts et le courage retrouvé amène la victoire. Un père fait croire à son enfant malade que le remède est un simple aliment et l’enfant retrouve la santé. Mais les propos évoqués ci-dessus ne sont pas de cette veine. De quel nom d’ailleurs faudrait-il les affubler ?
Le français dispose d’un vocabulaire assez riche en la matière. À vous de choisir dans la liste, non exhaustive, que voici. Un bobard est un propos mensonger ou fantaisiste destiné à tromper un public généralement crédule. Une galéjade une histoire inventée ou simplement exagérée à laquelle on essaie de faire croire. Un boniment l’argumentation ingénieuse d’un camelot faisant l’article de sa marchandise. Du baratin un flot de paroles généralement trompeuses, le plus souvent motivé par le désir de convaincre, de duper ou de séduire. À moins que de préférer, tout simplement, « mensonge » ou « menterie ».
Un peu partout sur la planète, la classe politique est déconsidérée. Au point qu’il devient presque angélique de croire qu’un politicien puisse être sérieux, désintéressé et soucieux exclusivement du bien public. À qui et à quoi la faute ? Peut-être essentiellement à tout ce qui est ressenti comme un manque de droiture. La relation entre le citoyen et le politicien se construit ou se déconstruit au fil des jours. La confiance naît d’une longue cohabitation avec l’honnêteté et la vérité ; pour le discrédit, un instant de duplicité ou de mauvaise foi suffit. Pour réhabiliter le milieu, tous les partis y gagneront à rechercher avant tout des femmes et des hommes qui n’ont qu’une parole.
Publié comme « Carte blanche » dans le Soir du 25 juillet 2014.
Publié aussi dans La Libre Belgique, p. 61, des samedi et dimanche 23 et 24 août 2014.