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L’enseignement nouveau est arrivé

Vive la rentrée ! Comme tous les redémarrages, la rentrée scolaire est renouveau pour tous. Nouvelle année, nouveaux élèves, nouveaux copains, nouveaux professeurs, nouveaux cours… Et pourtant, invariablement, depuis des siècles, on franchit le seuil d’une école pour échanger, entre jeunes et adultes, la connaissance de la vie. La démarche a quelque chose de permanent et de stable. Or, aujourd’hui, c’est un peu comme si l’école et l’enseignement devaient aussi être nouveaux chaque année. Une sorte d’hystérie réformatrice semble avoir saisi les responsables de l’éducation et de l’enseignement un peu partout.

Qu’en est-il chez nous ? De l’enseignement rénové des années 70, vite raboté par les politiques d’austérité, aux vagues successives des compétences à partir des années 90, de la pédagogie constructiviste et différenciée, où l’élève est « acteur » de son apprentissage, aux évaluations sommative, formative et certificative, des inscriptions libres à la quête de mixité sociale – raccourci plus que sommaire et  limité à l’enseignement secondaire ! –, l’épidémie de réformes s’est propagée. Le rythme s’est accéléré, parfois contre tout bon sens : une réforme en supplante une autre, avant même que la première ne s’inscrive dans les faits.

Ces innovations ont été accréditées par des pédagogues, définis comme « personnes qui ont le sens de l’enseignement » ou « personnes spécialisées en pédagogie, science de l’éducation des enfants ». Or, les deux aspects ne coïncident pas toujours. Le pédagogue savant est devenu le conseiller obligé, l’expert incontournable auprès de qui les décideurs politiques quémandent des idées nouvelles pour réformes nouvelles. Nombre – difficile à préciser – d’enseignants ont éprouvé et éprouvent – à tort ou à raison – le sentiment que des « théoriciens en chambre » régentent le quotidien de l’enseignant, sans en maîtriser toutes les dimensions. Comment s’étonner dès lors de la fameuse « résistance au changement », qui dévoie les meilleures intentions des pédagogues et de leurs supporters politiques ?

Tous les efforts visant à faire du système scolaire une mécanique bien huilée ont-ils produit leur effet ? N’a-t-on pas importé dans l’enseignement des considérations et méthodes peut-être pertinentes dans d’autres secteurs, mais impertinentes là où le matériau humain est premier, dans le chef de l’élève comme du professeur ? Et n’a-t-on pas introduit, ipso facto, un stress permanent, lié aux exigences d’une productivité évaluée par des résultats trop réduits à la loi du chiffre ? Ce serait maladroit. Car, à toute époque et en tout lieu, l’acte d’enseigner repose sur des invariants, peu compatibles avec un management dirigiste et autoritaire.

Dans le domaine, peut-on encore faire appel au simple bon sens, sans se laisser bâillonner par les théories multiples, souvent jargonneuses, parfois contradictoires, qui inondent le marché pédagogique ? Courons le risque.

La transmission de savoirs et d’expérience de vie remonte à la nuit des temps. L’invariant essentiel ? Elle se joue entre des personnes. Parce qu’il vit et donne la vie, un adulte ressent le besoin de léguer « quelque chose » à son rejeton pour qu’il ait toutes les chances de vivre et, si possible, bien. À l’évidence, l’adulte donne ce qui est le plus important pour lui. Et ça se sent. Si l’adulte est convaincu, voire passionné par ce qu’il transmet, l’enfant y attache un intérêt proportionnel à sa confiance en l’adulte. Le plus jeune entend et voit ce que l’adulte dit et fait. Il redit et refait. Quand l’adulte introduit variantes et nuances, le jeune se découvre capable de varier, de nuancer et d’innover.

Connaissances, expériences, valeurs s’échangent le mieux dans une relation de personne à personne. Est-ce cette intuition qui pousse l’élève à choisir un cours non en fonction de la matière, mais parce qu’il a entendu des copains dire que « le prof est bien ». A-t-il tort ? Est-ce pour cela que les souvenirs marquants d’un cursus scolaire sont plus souvent liés à tel professeur qu’à tel chapitre de matière ? Ajoutons ceci : pour un jeune en formation, quel poids et quelle influence constructive aura une évaluation extérieure dépersonnalisée, chiffrée, ventilée selon vingt critères, en face d’un avis clair et bienveillant, exprimé en termes simples et personnels, lui indiquant les qualités de son travail et les améliorations possibles ?

Bref, éducation et enseignement progresseront chaque fois que sera favorisé le contact personnalisé entre éducateur et éduqué. Fuyons donc l’encombrement administratif dévorateur de temps et d’énergie. Libéré de ce fatras, l’enseignant personnalise ses préparations de cours, recherche avec passion le meilleur angle d’approche, propre à motiver son groupe. Il n’hésite pas à  individualiser ses explications pour certains élèves. Il franchit les grilles pour corriger et commenter les travaux avec précision, rigueur, mais en étant respectueux, encourageant. Pareille liberté d’action et d’esprit suppose le climat détendu et positif d’une école autonome.

D’où la conclusion nécessaire : pour que la relation pédagogique soit la plus personnelle possible,  c’est la liberté pédagogique qu’il s’agit de promouvoir et non la contrainte, l’initiative bien conseillée plutôt que l’embrigadement, l’accompagnement discret plutôt que la supervision inquisitrice, la confiance qui suscite plutôt que la suspicion qui confine.

Ce propos paraîtra simpliste à côté de la puissante complexité des directives, programmes, commentaires de programmes, etc., que le pilotage adresse aux écoles. Mais l’enseignement n’est-il pas simple comme tout,  dans son principe essentiel ? Simple ne veut pas dire facile. Passer le témoin à la génération suivante n’a jamais été une sinécure. Ce geste a toujours exigé foi et ouverture, assurance et tolérance, fidélité et nouveauté. Hier comme aujourd’hui, tous ceux qui se sont attelés à cette tâche ont été logés à la même enseigne.

Publié dans La Libre Belgique, pp.46 et 47, le vendredi 24 août 2012.

Published inDémocratieEnseignementSociété