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La bête politique

L’homme est un animal politique, dixit Aristote. « L’homme politique est un animal », pourrions-nous pasticher, à la lecture des comportements politiques que nous offre l’actualité des crises et des campagnes. D’abord parce que, en bien des circonstances, la raison, qu’on attendrait maîtresse, cède le pas à des instincts en apparence plus primaires ; ensuite parce que le rapport au monde animal illustre à merveille les postures habituelles des politiques et leurs dérives. Risquons quelques portraits animaliers qui ne ménagent pas la ménagerie.

Voici, par exemple, un chaud lapin qui, à bride abattue, porte le coup du lapin à son ambition. Car, à peine le lièvre levé – à moins qu’il n’y ait qu’anguille sous roche –, même si l’intéressé est possiblement innocent comme l’agneau nouveau-né, les vautours, ses collègues, lâchent les chiens et confirment qu’en politique aussi l’homme est un loup pour l’homme. Ce monde peut être une jungle sans pitié, où on se regarde en chiens de faïence tout en gardant pour chacun, adversaire ou comparse, un chien de sa chienne. Parfois, faute de trouver d’autres chats à fouetter, on est tout réjoui de trouver un cheval de bataille, une occasion de jouer un tour de cochon, en se croyant malin comme un singe.

Parmi les politiques, comme ailleurs, la diversité des tempéraments est grande. Caricaturons un peu. D’un côté, les requins, qui ont commencé souvent comme jeunes loups, déchirent à belles dents toute proie à portée. Peaux de vaches, ils ne se sentent exister que dans les curées et les hallalis, sans souci de ceux qui mangent de la vache enragée ou vivent une vie de chien. Roquets, ils aboient à tous vents. D’un autre côté, les agneaux – ou les chevreuils – risquent de trop ménager la chèvre et le chou ; d’aucuns les accusent de mener la politique de l’autruche. Mais, à cheval sur leurs principes, ils sont aussi à même, quand il faut, de prendre le taureau par les cornes. Entre ces extrêmes évoluent aussi des veaux, des rats, de drôles d’oiseaux, voire des cervelles d’oiseaux, prêtes à acheter un chat dans un sac, et qui n’hésitent pourtant pas à se parer des plumes du paon.

Au chapitre des discours et des méthodes, n’en voyez-vous pas qui noient le poisson, tandis que d’autres appellent un chat un chat ? Ici, on avale des couleuvres ; là, on monte sur ses grands chevaux. Tantôt on donne sa langue au chat ou on pose un lapin ; tantôt on travaille dans la discrétion comme l’abeille industrieuse, ou dans l’ostentation pour faire un effet bœuf. Le mutisme de la carpe fait face au perroquet jaseur.

Et ce n’est pas peu de chose d’entrer dans la vie politique ; c’est presque se jeter dans la gueule du loup. Y a-t-il place à prendre parmi les poulains des gens en place, souvent chevaux de retour ? Il faut d’abord montrer patte blanche, ce qui est difficile pour qui est prudent comme le serpent. Il faut la chance de tomber en période de vaches grasses plutôt que maigres. Il faut se distinguer, mais sans être connu comme le loup blanc, le mouton noir ou le mouton à cinq pattes, encore moins comme le canard boiteux. Il faut accepter d’être  longtemps comme l’oiseau sur la branche, si on ne veut pas être fait comme un rat ou pris comme bouc émissaire. Bref, il n’est pas sûr que l’aspirant se sente vite comme un poisson dans l’eau.

Puisse ce rapprochement avec l’univers animalier susciter une sympathie accrue à l’égard de la confrérie politique, souffre-douleur des canards et de l’opinion publique, en ces jours où le citoyen se sent traité comme vache à lait et se voit payé en monnaie de singe. Pour que le politique fasse front à l’économique, il est plus indispensable que jamais qu’émergent des individus qui ne soient enclins ni à suivre comme des moutons ni à se prendre pour des aigles. Vivons de cet espoir : qu’au vote du citoyen soient proposées des listes d’« animaux politiques » intéressants parmi lesquels ils choisiraient l’oiseau rare. Chouette !

Inédit. Ce texte ludique, proposé à la rubrique « Débats » de La Libre Belgique, n’a pas été accepté. Voici la réponse qui m’a été adressée par Monsieur Jean-Paul Duchâteau : « Malheureusement, cette fois, nous ne pourrons pas publier votre texte qui est plutôt un divertissement qu’un véritable article d’opinion ou d’analyse. Désolé. »

Publié dansHumourInéditPolitique