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Le préfet préféré

Préfet, proviseur, directeur, principal, chef d’établissement, sous-directeur, coordinateur – ou coordonnateur, au choix –, responsable de niveau, et tutti quanti. Toutes fonctions appelées à exercer une certaine autorité dans le monde de l’enseignement. Ce n’est pas une tâche aisée ; ses avatars aboutissent quelquefois à la situation extrême qu’illustrait, il y a quelque temps, un athénée de la Basse-Sambre : une grève des enseignants pour demander l’écartement de leur préfète. Ce cas extrême nous invite à rechercher comment peut se vivre ce pouvoir pour éviter des crispations génératrices, in fine, de crise ouverte. Dans une école, à quelles conditions particulières d’exercice une autorité peut-elle être astreinte ?

« Pour exercer l’autorité, il faut imprimer une vision, un rythme, mais aussi disposer d’une empathie naturelle. Il faut aimer les gens. » Ainsi s’exprime Clara Gaymard, présidente de General Electric France[1] ; ses propos s’insèrent dans un contexte différent, celui des grandes entreprises, mais ils restent pertinents en l’occurrence. Car les invariants de l’autorité valent bien sûr aussi pour un responsable en milieu scolaire. Néanmoins ils s’imposent à pour lui avec une acuité supplémentaire, parce qu’une école n’est pas n’importe quelle entreprise.

Est-il besoin de redire que l’autorité d’un chef d’établissement scolaire repose sur une vision et un rythme qu’il cherche à promouvoir ? Comment pourrait-il bénéficier d’un quelconque crédit s’il n’a pas « des idées » et s’il ne définit pas un calendrier pour assurer leur réalisation ? Or sans crédit, comment ses décisions pourraient-elles apparaître autrement que comme des contraintes arbitraires, voire vexatoires ? Dans une école, plus que partout ailleurs, pour s’inscrire dans la réalité, une vision des choses nécessite la compréhension positive, voire la sympathie active, d’un maximum de collaborateurs. Elle n’est jamais le décret d’un chef qui peut laisser aux exécutants le soin d’exécuter. L’évolution pédagogique ne réussira que si une relation de confiance patiente et quotidienne transforme une vision personnelle en projet collectif,  porté solidairement. Exaltante, mais très exigeante perspective pour un directeur : assurer l’animation – au sens de « don d’une âme » – pédagogique qui créera le meilleur milieu possible pour la formation des jeunes et leur devenir personnel.

Il est dès lors inévitable de s’interroger sur les conditions de recrutement et de fonctionnement des dirigeants. L’ogre administratif ne dévore-t-il pas le petit poucet pédagogique ? À voir les pirouettes « organisationnelles » auxquelles les directeurs sont, par décrets successifs, obligés de passer le plus clair – le plus sombre ? – de leur temps, existe-t-il encore un enseignant « visionnaire » d’avenir prêt à postuler ? À supposer qu’un idéaliste ne renonce pas d’avance à une candidature et qu’il survive aux formations désormais requises ne sera-t-il pas, de toute manière, dès son entrée en fonction, ligoté par les nécessités et les obligations tatillonnes de la gestion d’une école ? Et donc empêché de vivre avec les enseignants la patiente construction d’un projet commun ? Et donc privé de la pierre angulaire de son autorité ?

Est-il besoin de redire que l’autorité d’un chef d’école repose sur une empathie naturelle, une tendance à « aimer les gens » ? Quel que soit le cadre où elle s’exerce, le respect de (envers) l’autorité suppose le respect de (par) l’autorité, avec une équitable réciprocité. Dans une école, là où le respect de l’élève conditionne la réussite de sa formation, un parallèle se dessine : telle autorité du directeur sur les dirigés, telle autorité de l’enseignant sur l’enseigné. Autrement dit, par sa façon de traiter et de respecter ses « subordonnés », dont on suppose qu’il l’estime la plus empathique et la meilleure possible, le directeur conseille aux enseignants, vis-à-vis de l’élève, un traitement et un respect du même type. Pour qui dirige, nouer avec chacun cette relation respectueuse qui invite au respect requiert du temps et de la disponibilité. Comment le pourrait un directeur entortillé dans les contraintes que nous venons d’évoquer ?

Autant de raisons pour lesquelles le nombre de candidats aux postes de direction dans les écoles se réduit de plus en plus. Elles recoupent ou rejoignent celles qui découragent combien de jeunes médecins ou enseignants au point qu’ils en quittent leur profession dès les premières années de la carrière. Ils avaient choisi leur voie en écoutant leur sens de l’humain. Ils découvrent un terrain aride, desséché par les exigences, parfois kafkaïennes, d’une normalisation bureaucratique ; sans doute ne supportent-ils pas de n’être humains qu’à la sauvette.


[1] Dans une conférence adressée au monde de l’entreprise: le lundi 4 octobre, à Écully, plusieurs centaines de dirigeants ont été réunis à l’occasion des 9es Entretiens de Valpré, afin de réfléchir autour du thème : « Autorité, obéissance. Jusqu’où ? ».

Publié dans La Libre Belgique, p. 48, le lundi 26 décembre 2011.

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