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Blanchir le dénigrement ?

 « Dénigrer », c’est noircir ; le vocable est construit sur l’adjectif latin niger, qui signifie « noir ». Et l’on dirait que bien des humains, qu’ils soient blancs ou noirs, se laissent tenter par cette curieuse activité : le dénigrement. Sur la scène publique comme dans les cénacles quotidiens, nous côtoyons des dénigreurs de tous bords et de tous poils, dont on peut se demander quelles sont les motivations profondes et quels bénéfices ils espèrent tirer de ce travail « au noir ». Suivons à la trace l’un ou l’autre de ces sombres personnages, pour tenter d’y voir plus clair.

La France, avec les élections primaires désignant le candidat de la gauche pour les présidentielles de 2012, vient d’en offrir une démonstration aveuglante. Immédiatement, lit-on dans les communiqués de presse, la droite est passée à l’attaque, épinglant l’inexpérience et le flou du candidat, qui, d’après un porte-parole de la droite, donne l’image de quelqu’un qui a beaucoup de mal à prendre des décisions difficiles. Ledit candidat n’a pas dû être surpris par ces regards noirs qu’on lui jette, car il s’était entraîné, la semaine précédente, à s’entendre qualifier par sa concurrente socialiste de représentant de la gauche molle ou de candidat du système, propos qui ont été étiquetés par un adversaire comme relevant du langage de l’extrême droite. On tourne en rond dans ce grand petit monde des dépréciateurs. Les individus ne sont pas seuls en cause. D’emblée aussi, le signal de la curée a été donné concernant le projet socialiste, qu’il est urgent de démolir parce qu’il est à la fois irréaliste et irréalisable.

Dans le champ politique, tous pays et toutes tendances confondus, le succès de l’un produit chez l’autre des idées noires et des nuits blanches ; et si c’est l’autre qui accède au plein soleil, alors c’est l’un qui chausse des lunettes noires. L’électeur en viendrait à voter non pour la qualité d’un candidat ou d’un projet, mais pour échapper aux défauts de celui qui est en face. À moins que, submergé par cette série noire, le citoyen n’en vienne à glisser dans l’urne un bulletin blanc, synonyme le plus souvent de chèque en blanc. Pourquoi donc la valorisation de soi et de son propre camp passe-t-elle, trop souvent, au second plan par rapport à l’entreprise de démolition de l’adversaire et de son programme ? Peut-être parce que, dans la vie quotidienne déjà, la critique négative de l’autre donne à certains, semble-t-il, le sentiment de grandir eux-mêmes ?

Ainsi ces supporters de football qui croient faire la grandeur de leur club en « chambrant », voire en insultant les joueurs adverses, et en s’appesantissant, dans leurs commentaires d’après match, sur les lacunes de l’adversaire. Ainsi ces publicistes qui font l’article en dépréciant, crûment ou par allusions, telle enseigne ou tel produit concurrents pour que le client se rabatte, par défaut, sur leur offre à eux. Ainsi encore ces partisans de telle formation, de tel type d’enseignement, de telle option qui ne justifient leur choix qu’en décriant les orientations différentes. Là encore, l’impression peut naître souvent qu’ils rejettent une branche ou un établissement en pensant défendre et magnifier, par contrecoup, leur propre parcours, qui s’est déroulé autrement ou ailleurs. Ils font chorus avec le renard de La Fontaine pour décréter que ces raisins sont trop verts et bons pour des goujats. Étrange présupposé : « Si je t’abaisse, je m’élève. » Comme si le capital d’admiration, ou simplement de respect, fonctionnait selon le principe des vases communicants et comme si le dénigreur gagnait nécessairement pour lui les points qu’il essaye d’arracher à l’opposant. Cette façon de voir est-elle fondée ? Et, au lieu de voir les choses en noir, faudrait-il prendre le dénigrement pour un rééquilibrage utile en matière de relations humaines et pour une stratégie efficace en politique ? La réponse relève du discernement de chacun, qui trouvera là matière à s’exercer et à trancher : se laisser convaincre que celui qui noircit devient plus blanc pour la cause ou, au contraire, appliquer la décote au détracteur impénitent plutôt qu’à sa cible.

Publié dans La Libre Belgique, p. 55, le jeudi 20 octobre 2011.

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