Faut-il en parler ? J’ai mauvaise conscience. Car je voudrais justement suggérer d’en parler moins. Depuis des mois, sinon des années, un flux médiatique nous bassine les oreilles avec les successeurs potentiels d’un digne archevêque de Malines, au demeurant sympathique et apprécié par beaucoup. Au lieu de sortir ce sauveur comme un lapin d’un chapeau, on a préféré, dans un premier temps, passer le troupeau des candidats en revue pour découvrir le mouton noir. Plus d’une fois, on a laissé entendre qu’il y avait anguille sous roche. Mais, bien sûr, aucun des prétendants n’a voulu vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ils ont évité de se regarder en chiens de faïence, pour bien témoigner que les loups ne se mangent pas entre eux. Cette longue attente a forcément fait jaser, depuis les grenouilles de bénitier jusqu’aux brebis galeuses.
Des perroquets de service ont resservi les vérités toutes faites sur les uns et les autres, dont certains donnent parfois l’impression de s’entendre comme chiens et chats. Les pronostics ont oscillé entre cigale et fourmi, entre serpent et renard, entre éléphant et flamant rose. Les uns désespéraient devant la quête quasi infinie d’un mouton à cinq pattes, qui serait à cheval sur les grands principes, tout en étant doux comme un agneau dans leur application à l’humain. D’autres voyaient l’avantage de choisir un tigre de papier ou encore une taupe, prête à tout dénoncer à condition de pouvoir se parer des plumes du paon. Un âne bâté est quelquefois plus facile à vivre, quand il est placé dans une haute charge, qu’un furet fouineur malin comme un singe. L’élasticité des délais a autorisé toutes les supputations et donné libre cours à toutes les imaginations.
Mais peut-être avez-vous remarqué que, dès les débuts, quelques-uns, au lieu de hurler avec les loups, sont restés muets comme des carpes. Peut-être pensaient-ils fermement que les brebis restent, tandis que le berger passe. Que ce sont les petits, et non les grands, qui ont des fourmis dans les jambes, toutes prêtes à courir de l’avant. Qu’il ne sert pas à grand-chose que le chef produise un effet bœuf s’il réduit ses sujets à l’état de moutons ou de larves. Que courir derrière une hypothétique poule aux œufs d’or, ce serait se jeter dans la gueule du loup, mettre la charrue avant les bœufs et perdre l’essentiel. C’est une dérive de se focaliser sur les sommets. Pourquoi vouloir un Saint-Bernard, s’il arrive comme un chien dans un jeu de quilles ? Laissons de côté le lion, pour nous intéresser aux fourmis ouvrières et aux abeilles industrieuses. C’est ce que certains, trop rares, ont fait, en ce domaine comme dans d’autres, de tout temps et jusqu’à présent.
Remettre l’église au milieu du village ? En l’occurrence, ne serait-ce pas remettre l’animalcule qu’est le simple chrétien au centre de l’Église ? Oublier – ou, à tout le moins, tenir pour très secondaire – le défilé, forcément assez rapide, des prestigieux barbons sur le podium pour côtoyer, entendre, écouter, accueillir les humbles hirondelles qui, ensemble, font et feront le printemps ? En terrain religieux comme ailleurs, qu’y gagnons-nous à parloter sans fin à propos d’êtres royaux, qui ne sont pas toujours des aigles, plutôt que de nous intéresser aux mésanges et aux colibris ? Et si les parfois drôles d’oiseaux qui perchent sur les hautes branches continuent à vouloir écouler les rossignols pendant les soldes, cela n’empêchera pas les petits et les obscurs que nous sommes de continuer à être comme l’oiseau sur la branche, gais comme des pinsons. L’attention braquée sur le geai paré des plumes du paon n’est rien d’autre qu’un miroir aux alouettes. Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos lapins. Il est grand temps de parler d’autre chose. Par exemple de la vraie vie, avec de vraies personnes qui posent de vraies questions. La vie et sa force d’évolution ne posent jamais de lapin. Dans le creux de l’oreille de celles et ceux qui veulent la prêter, elle chuchote en termes simples et tendres : « Mon lapin, laisse-toi porter par tes choix à toi, pas à pas, vers ton humanité. Aucun renard n’est à ce point dangereux que tu détalerais comme un lapin. Si tu ignores le renard, parce que tes yeux voient plus loin, c’est une manière de lui faire le coup du lapin. Qui discute de la couleur du renard en vain soulève un lièvre. Car la couleur du renard ne vaut pas plus qu’un pet de lapin. »
Publié dans La Libre Belgique, supplément « Momento », p. 3, le samedi 13 février 2010.