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Bien s’inscrire, c’est commencer à réussir

À supposer qu’il soit sous-tendu par de bonnes intentions, le récent décret de la Communauté française destiné à régenter les inscriptions risque bien – faut-il dire « une fois de plus » ? – de dérailler et de provoquer bien plus d’effets pervers que de réelles avancées. Et les raisons de cette façon bancale de légiférer sont récurrentes et bien connues dans le monde de l’enseignement : manque de connaissance précise et complète de la vie concrète des écoles et prétention de régler par une mesure générale des exceptions qui appellent remède, parce que le courage et l’efficacité manquent pour les faire cesser en les abordant de front et d’autorité.

C’est aussi le propre des décideurs, semble-t-il, de déformer la vie réelle en la regardant à travers un prisme réducteur et de transformer un moment de vie important, l’inscription dans son école, en démarche administrative pure et dure. Tâchons de revenir, au cœur des familles, à cet instant crucial où des parents choisissent, pour la formation et l’épanouissement de leur enfant, de faire confiance à une école plutôt qu’à une autre. Ce choix commence dès l’école maternelle, mais traverse toute la scolarité et peut continuer, pour certains, jusqu’à l’enseignement supérieur. Ce qui guide les parents dans leur approche, ce sont, en tout premier lieu, le profond désir de faire le bien de leur enfant et la connaissance qu’ils ont de lui. D’autres critères sont, pour eux, liés à l’école : sa réputation lointaine ou entretenue par le bouche à oreille, sa publicité, sa localisation, la plus ou moins grande familiarité créée par le fait que des parents ou amis fréquentent cette école ou parce qu’ils sont eux-mêmes anciens élèves de l’établissement. Bref, les parents sont guidés aussi par l’idée qu’ils se font de telle ou telle école, même si cette idée ne recouvre que partiellement la réalité.

Bon nombre d’écoles ont compris l’importance de ce moment et accordent aux inscriptions l’intérêt qu’elles méritent. Pour permettre aux jeunes et à leur famille de confronter leurs attentes avec la réalité, de longues rencontres, souvent avec une visite des lieux, offrent l’occasion de poser toutes les questions pédagogiques, pratiques, voire prosaïques. Il faut du temps. Il faut longtemps. Pour s’apprivoiser. Une inscription est un engagement. Une sorte de contrat entre la famille et l’école. D’autant plus important que son objet est la prise en charge responsable d’un être humain en devenir.

Dès qu’il y a contrat, quel qu’il soit, un minimum de confiance s’avère indispensable. Mais dans un contrat portant sur l’humain, la confiance joue un rôle décisif : quelle possibilité de formation et de progrès personnels, en effet, pour celle ou celui qui n’a pas foi en ses formateurs ? C’est dire que le choix positif d’une école plutôt que d’une autre n’est pas un incident de parcours, mais un facteur essentiel et déterminant pour la réussite. Or une confiance fondée sur des rencontres personnelles ne se compare pas à celle qui ne reposerait que sur une vague réputation.

La vision positive d’une école, née chez l’enfant en même temps que chez ses parents, sera pour lui un gage de bien-vivre et le tremplin nécessaire pour son épanouissement personnel. Dans l’absolu, on pourrait dire qu’il n’existe pas de « bonnes écoles » et de « mauvaises écoles ». Chacune d’elles a développé son projet propre. Même si les programmes et les structures administratives sont forcément semblables, chaque communauté scolaire les a assimilés à sa manière pour leur donner le plus d’humanité possible. Les voies et les voix sont diverses. Les unes et les autres ne conviennent pas à tous. Présenter comme un idéal d’égalité que n’importe quel enfant, pion interchangeable, puisse aller dans n’importe quelle école n’a pas de sens. L’égalité, c’est que chaque enfant puisse, avec ses parents, choisir sans contrainte l’école dont il ressent qu’elle l’appelle à réussir.

La démarche d’inscription conçue comme un engagement important ne sera plus possible dans de bonnes conditions si le nouveau décret impose une date tardive pour commencer à inscrire. Les rencontres patientes qui se programmaient sur une année scolaire entière au moins ne pourront plus commencer avant le 30 novembre, vient-on de préciser par circulaire. Chaque inscription respectueuse des personnes va y perdre. Pour y gagner quelle contrepartie ? La conviction bien théorique qu’enfin toute école est accessible à tous ? Mais c’est déjà le cas (presque) toujours : sauf rares exceptions, il n’y a plus d’examens d’entrée, plus de critères d’admission, plus de sélection basée sur les résultats… La seule sélection – et elle demeurera, à moins qu’elle ne s’accentue – s’opère à l’initiative des parents, selon qu’ils s’y prennent tôt ou tard pour entreprendre les démarches ou selon qu’ils sont prêts à passer ou non une nuit blanche devant l’école à l’ouverture des inscriptions. Avec une date butoir, évitera-t-on les priorités indues ou créera-t-on seulement une priorité pour les initiés par rapport à ceux qui ne sont pas au fait des décrets et arrêtés ministériels ?

Malgré les désirs d’ouverture, les conditions concrètes des inscriptions dans les écoles montrent bien la difficulté d’assurer une mixité sociale, même si celle-ci est plus grande aujourd’hui qu’hier. Il est loin d’être sûr que le présent décret aura une incidence positive en la matière. Peut-être au contraire. Il serait dommage et choquant pour le commun des mortels que la poursuite aventureuse d’un mythe, celui d’une école dont les élèves représenteraient statistiquement toutes les couches d’une société, finisse, à force d’effets pervers, par rendre plus difficile la réussite de tous.

Publié dans La Libre Belgique, p. 28, le samedi 27 septembre 2007.

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