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La confiance en l’école, remède à la pénurie

Y a-t-il déjà pénurie d’enseignants ? Court-on, les yeux fermés, vers une situation critique ? Allez savoir… Oui, répondent les rapports officiels, pour qui près de 25 % des professeurs auront quitté l’école en 2011, tous niveaux confondus. Non, rétorquent les pouvoirs publics, qui naviguent plus souvent sur l’écume des vaguelettes de surface qu’en sondant les lames de fond, ces chiffres sont exagérés ; tout va (presque) bien.

Dans chaque école, tout le monde a sa réponse, dictée par la pyramide des âges. Il suffit de se compter et de repérer ceux qui seront partis en 2011. Beaucoup. Les filières menant à l’enseignement ne produisent plus assez de remplaçants aux partants actuels, dans la plupart des disciplines scolaires : même un renversement complet des tendances et un retour massif des jeunes vers les carrières pédagogiques n’auraient pas d’effet assez immédiat. Encore faudrait-il que ce mouvement s’amorce. Si « quelque chose » se fait en la matière, la publicité n’en est pas assurée. Je voudrais ici attirer l’attention sur un levier simple et fondamental – et singulièrement négligé – pour relever à la fois l’école et l’appétit d’enseigner : la confiance en l’école.

Dans le concret quotidien de l’existence, c’est l’évidence même : je n’apprends quelque chose que si j’ai confiance en mon « formateur ». Lorsque l’enfant apprend à parler, même si c’est inconscient, il fait confiance à ceux qui parlent autour de lui et avec lui, parents et proches. Quand il apprend à manger à la cuillère, il a confiance en la manière de l’adulte de tenir sa cuillère et il l’imite. Si l’apprenti boulanger pétrit sa première pâte, c’est avec confiance en ce qu’il a vu faire par le patron. Et dans ce cas déjà, sans doute n’est-il pas exagéré de dire que la qualité de l’apprentissage grandit avec le degré de confiance vis-à-vis du « formateur ».

Trouveriez-vous plausible que l’école, promesse d’apprendre, échappe à ces principes dictés par le simple bon sens ? D’autant que les techniciens de l’éducation le confirment : à tous les niveaux, un facteur par excellence de la qualité de la formation n’est autre que la confiance en la qualité de la formation. Et donc en l’école, maternelle ou université. Aussi n’est-il pas vain de se demander comment peut bien se construire et s’entretenir la confiance en l’école chez un enfant, puis chez un jeune. Elle naît par personnes interposées et, pour ainsi dire, par contagion, au moins jusqu’à cet âge où l’esprit critique peut s’exercer en ce domaine aussi. C’est affaire de société, mais particulièrement de politiques, d’enseignants et éducateurs, de parents.

Partant du plus général, affirmons que la société qui fait confiance à son école améliore, ipso facto, la formation de ses enfants. Le financement, même généreux, ne suffit pas, si ce signe de volonté positive se ternit de soupçon. De ce point de vue, la manie actuelle des évaluations tous azimuts et des audits à tous crins – internationaux, externes, transversaux, de pilotage, ou autres – a un impact négatif sur la confiance, car elle induit nécessairement, dans l’école et au-dehors, que, si l’on traque l’inefficacité, c’est qu’elle existe avec une importance qui mérite cette « chasse au gaspillage ».

Faut-il rappeler l’énorme gâchis de 1995 pour montrer les leviers que certains politiciens privilégient dans leur action « pour » l’école ? Celle et ceux qui, alors, pour écarter quelque cinq mille enseignants « trop coûteux », ont noirci le tableau, montré l’école comme un lieu d’abus en tous genres, et tenté de dégoûter du métier un quota suffisant de candidats à la prépension, ont pris une responsabilité impressionnante dans le déclin de la formation. Ils ont sapé la confiance en l’école. S’abstenir de ce sabordage eût été bien plus efficace pour améliorer la qualité de l’enseignement que le replâtrage, par couches successives de réformes improvisées et incohérentes, d’un bâtiment volontairement détérioré pour une vingtaine d’années au moins. À l’inverse, remercions les hommes politiques chaque fois qu’en paroles ou en actes ils soulignent une qualité de l’école ou de ses acteurs : ils contribuent à améliorer la formation de tous.

Collabore aussi à ce progrès le regard positif que les acteurs de l’école porteraient sur eux-mêmes, sur leur institution, mais aussi sur le système scolaire. Tâche bien ardue que de se forger ce regard quand « on » dévalorise la profession en la suspectant, entre autres, de tricher sur les congés de maladie, quand « on » restreint l’autonomie de décision des établissements, quand « on » navigue à vue – courte – en matière de réformes, d’inspection ou de formation continuée. Au bord d’une pénurie sans précédent, qui s’explique en partie par l’image dégradée de l’école et de la fonction, l’urgence est de redessiner une figure reconnue et valorisée de l’enseignant. Pas seulement pour attirer les jeunes dans la profession, mais aussi pour que cette nouvelle confiance rejaillisse en qualité de formation pour les élèves.

Publié comme « Carte blanche » dans Le Soir, le jeudi 1er février 2007.

Publié dansEnseignementPhilosophie pratiqueSociété