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Le béotisme bientôt obligatoire ?

Un « Béotien », dans l’Antiquité grecque, n’est rien d’autre qu’un habitant de la Béo­tie, région voisine de l’Attique. Mais, dans la littérature attique, le Béotien est présenté comme un rustre, à l’esprit engourdi. Et nos dictionnaires ont retenu le « béotien » comme un « être lourd, peu ouvert aux lettres et aux arts ».

Ma question-titre se comprend donc : l’école d’aujourd’hui a-t-elle vocation, sous couvert de préparer à un univers matérialiste et technicisé, d’étouffer un héritage cul­turel que des millénaires ont constitué avec patience ? Le sort réservé aux langues anciennes, en particulier au grec, dans l’enseignement secondaire, n’est qu’un signe parmi tant d’autres – mais révélateur et digne d’analyse – de cette déculturation.

Comment expliquer cette dérive ? Entreprise consciente et concertée de nos élus qui orientent ainsi la qualité de l’enseignement destiné aux enfants de leurs électeurs ? Ou simple inadvertance, incapacité d’envisager des projets qui ne soient pas à la petite semaine, perte du sens de la durée ? Il est bien difficile de trancher. Ce qui est sûr, c’est que, depuis une vingtaine d’années, des mesures successives ont visé d’abord à marginaliser le latin et le grec, puis à les bouter hors de l’enseignement secondaire. Une stratégie pédagogique essayée avant nous par d’autres pays, comme la France, qui s’en sont mordu les doigts assez vite.

La lutte contre un prétendu « élitisme » a servi de paravent à des réformes : branches de formation générale, visant la « tête bien faicte » de Montaigne, les langues anciennes ont été tenues pour des spécialités. Comme le slavon, l’hébreu ou le malgache. Il fallait donc, récemment encore, à ce titre, les évacuer des deux premières années du secon­daire… jusqu’à ce qu’elles arrivent à démontrer, une fois de plus, que leur objectif est la construction et l’intelligence du langage.

Aujourd’hui, les dernières dispositions en date risquent de rendre concrètement im­possible, pour l’élève qui le souhaiterait, de pratiquer à la fois le latin et le grec. Il de­vrait se limiter à l’un ou l’autre. Pourquoi ? Si la formation gréco-latine ne draine plus les grands nombres d’élèves, faut-il pour autant lui faire un sort ? L’ouverture d’esprit inhérente à ces branches leur a fait accueillir avec confiance la présence et la collabo­ration de tant d’autres disciplines, dites nouvelles et utiles. Celles-ci auraient-elles rai­son de les payer en retour de sectarisme et d’intolérance ?

Il reste une place, plus que jamais vacante, je crois, pour des domaines où cohabi­tent les questions techniques de fonctionnement de la langue et les vastes questions humanistes. Ni l’un ni l’autre de ces deux aspects n’a vraiment droit de cité partout où l’utilitarisme impatient a marqué ses territoires.

Plaiderons-nous ensemble pour une éducation à large palette, où le devenir de cha­cun pourra se dessiner grâce à la diversité ? Aucun outil de formation ne peut être écarté, surtout s’il a fait et refait ses preuves. Qui donc y gagnerait ? Sinon d’éventuels – et sans doute imaginaires – béotiens au béotisme conquérant…

Texte inédit, écrit au moment où, en 1996, des mesures de restriction menaçaient de rendre plus difficile encore l’étude conjointe du latin et du grec en humanités.

Publié dansEnseignementInéditLangues anciennes