Une précision s’impose quant à l’emploi, dans ce titre, du terme « imbécile ». Laissons le libre choix du sens. L’étymologie latine est imbecillus, « faible ». Et il peut s’agir d’une faiblesse du corps, de la voix ou de l’esprit. D’où le premier sens répertorié en français – et « vieilli » – de « faible, débile ». Le sens courant nous est plus familier : « qui est dépourvu d’intelligence, qui parle, qui agit sottement ». Quant à moi, j’utilise ici l’adjectif dans le premier sens. Rien n’empêche de préférer le second ni d’estimer que, parfois, l’un n’exclut pas l’autre.
La mise en question concerne le dispositif même que Twitter a imposé à ses utilisateurs. Il me pousse à dire qu’un tweet constitue, en quelque sorte, un aveu de faiblesse. Et même de plusieurs faiblesses.
Faiblesse d’abord de croire que brièveté est synonyme d’efficacité. Même si, après dix années à 140 caractères, Twitter a doublé la mise, que permettent 280 caractères, alors que, par comparaison, le présent texte en compte 4569 ? C’est suffisant pour rappeler à votre voisine sa promesse de s’occuper du chat en votre absence ou pour commander du mazout de chauffage. C’est insignifiant s’il s’agit de formuler un avis autre que simpliste. Qui d’entre nous possède les trésors d’ingéniosité nécessaires pour mener un véritable raisonnement dans un cadre si maigrichon ?
Faiblesse aussi, chez l’usager lambda, de sacrifier à l’immédiateté. Toute pensée, toute émotion doivent-elles impérativement se déclarer dans l’instant ? La spontanéité débridée vaut-elle mieux que le recul critique vis-à-vis de soi-même, qui permet de mesurer les mots ? N’est-il pas faiblard celui qui ne parvient pas à se brider un peu pour penser mieux ?
Et faiblesse encore de se suspendre à l’opinion d’autrui, dont on attend avidement les like. N’est-il pas inconsistant celui qui renonce à un jugement de valeur personnel, autonome, sur ce qu’il pense et sur ce qu’il fait ?
Malgré ces imbécillités – au sens de « faiblesses » – ou à cause d’elles, ce type de message au rabais a rapidement séduit nombre de nos contemporains et s’est propagé comme une pandémie. Sans doute parce qu’il est dans l’air du temps. Mais ses handicaps, simplisme, précipitation et inféodation à l’opinion, auraient dû dissuader au moins le politicien. Censé aller au fond des choses, prendre le temps de la réflexion et avoir de la personnalité, celui-ci n’a qu’un seul choix : s’abstenir ou circonscrire l’usage aux nécessités de la vie privée courante.
Or le constat s’impose : c’est tout le contraire qui se produit. Serait-ce parce que cette pandémie-là aussi connaît des « supercontaminateurs » et qu’un peut-être bientôt ex-Président – rêvons-en – fait partie de ce groupe à haut risque ? Ce tweeteur compulsif fournit pourtant l’exemple probant de tous les excès permis par le système. Qu’à cela ne tienne ! Il a fait école. Il faut croire que ses postillons ont volé vite et loin.
Le citoyen se retrouve donc aux prises avec un nombre – en croissance exponentielle – de politiciens qui tweetent à qui mieux mieux. De courante, la pratique est devenue galopante. À tout propos et hors de propos, sur tout et sur rien, des politiques se sentent apparemment obligés d’avoir un avis et de le proclamer illico à la face du monde. Quel est l’effet escompté ? Chaque tweet serait-il simplement l’occasion de ressasser à l’électeur « Hé, vous savez, j’existe » ? Un peu court comme motivation.
Non contents de pérorer sur un fait d’actualité ou sur la météo du jour, certains politiciens addicts prétendent faire de la politique par tweets interposés. Disons plutôt qu’ils répandent sur le Net des brimborions d’avis, de commentaires, de jugements, voire de décisions politiques dont l’intention laisse perplexe. Ces fragments apparaissent non comme des avancées , mais comme des grains de sable dans les engrenages de la politique « normale ». Le dommage est le plus flagrant lorsqu’il s’agit d’attaques personnelles ou de petites phrases fielleuses.
Quelles conséquences tirer de ce diagnostic? Pour le citoyen, il est difficile de voter pour un candidat qui ne tweeterait pas. En reste-t-il ? Mais le nombre de tweets – surtout intelligents – peut servir de point de repère. Pour le politicien, il est possible, même s’il s’est laissé entraîner sur la mauvaise pente par ses petits camarades, de se remettre les yeux en face des trous. Peut-être se convaincra-t-il alors que celui qui ne tweete pas (beaucoup) ne passe pas forcément pour un imbécile.
Publié sur le site du Soir, le jeudi 9 juillet 2020, à 13 h 50.